Le travail est ressenti comme injustement vécu. Il suffit d’écouter le « monde de l’entreprise » pour s’en rendre compte. Les ouvriers se plaignent d’un enchaînement de tâches répétitives et mécaniques. Ceux qu’on appelle les « cols blancs » y voient une suite de renoncements, d’injonctions paradoxales et de servitudes volontaires. Pour certains cependant, dont je fais partie, un travail nouveau émerge : créateur, plein de désirs et d’affects joyeux. Né des pratiques numériques, il s’appuie sur l’ouverture, la coopération et l’agilité. Quand on ose introduire cette approche au sein des grandes organisations, la morosité ambiante s’éloigne : il ne s’agit plus simplement de « travailler » mais de s’employer à bien faire.

Cette mutation s’amorce déjà dans quelques structures comme FAVI, Zappos (entreprise américaine de ­e-commerce de chaussures, qui a supprimé tous les postes de managers), mais aussi chez Leroy Merlin et d’autres. Ces sociétés osent repenser l’entreprise en plate-forme collaborative, ce qui impose de revoir la manière dont le travail y est effectué. La démarche est radicale, non pyramidale. Elle prend place au cœur des projets plus que dans les hautes sphères hiérarchiques.

Ces entreprises cherchent des aptitudes et de la curiosité plus que des diplômes ou des CV très développés. Elles s’appuient sur des personnes et non des procédures. Elles n’imposent pas un plan stratégique à cinq ans mais demandent à chacun de questionner régulièrement la pertinence des stratégies adaptées et leurs mises en œuvre. Elles créent les conditions pour bien faire le travail : libre circulation des informations et des personnes ; autonomie dans les projets sans multiplier les étapes de validation, génératrices de médiocrité. 

Voilà qui change tout. Travailler devient œuvrer. Le débat renaît, la tête n’est plus déconnectée des mains, les choses peuvent se faire. Guidée par le bon sens, une dynamique d’amélioration permanente se met en place. Le travail se fonde alors sur le collectif et l’interdépendance. Les idées et les décisions se prennent et se testent vite. Les moments débilitants de « créativité post-it » et la quête de l’innovation n’ont plus lieu d’être, chacun étant autonome, responsable, créateur à chaque instant. 

Si on permet à chacun de construire cette vision du travail,  les conditions de sa réalisation émergent naturellement. Tout le monde apprécie le travail bien fait et aime se confronter à l’altérité, construire et apprendre d’elle. 

Propos recueillis par A.-S. N.

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