Tout au long de ma carrière, je n’ai cessé d’avoir un seul et même mode de fonctionnement que résume parfaitement la formule suivante du philosophe François Jullien : « Le bon prince est celui qui, en supprimant les contraintes et les exclusions, permet à chaque existant de s’épanouir à son gré. Agir sans agir, qui est une forme de laisser-faire, qui n’est pas ne rien faire du tout. Car cela revient à faire en sorte que les choses se fassent toutes seules, dans le sens de l’intérêt collectif. »

Ma liberté au travail, je la dois à un patron exceptionnel avec lequel j’ai eu la chance de collaborer pendant quarante-sept ans, Max Rousseaux. En partant de rien, il a créé après-guerre une trentaine de sociétés et géré près de 12 000 salariés avec des principes simples.

Il jugeait les hommes et non leurs idées. Avec lui, j’ai appris à libérer les créateurs de valeur ajoutée de l’entreprise. J’en retiens qu’un patron, pour être libre de ses actions, doit être stable dans la durée, être paresseux pour mieux déléguer, avoir peu d’ego et garder cette qualité ancestrale de passer de l’intuition à l’action en court-­circuitant la réflexion, toujours castratrice.

En pratique, il suffit de s’émanciper des doctrines du « tout prévoir » et de la recherche du risque zéro. Chez FAVI, il y a deux principes de base : l’homme est systématiquement considéré comme bon, et, quoi que l’on fasse, cela doit être utile au client. Le premier précepte nous permet de sortir du contrôle des cadences, des horaires, des prix de revient. L’ouvrier contrôle tout ce qui le concerne. Le second principe permet d’éliminer tout document, procédure ou démarche qui ne sert pas un client interne ou externe : nous avons supprimé toutes les réunions et les systèmes de reporting écrit tout en développant un sentiment de solidarité qui abolit les primes individuelles au profit d’un objectif unique.

La recherche du bonheur collectif est le garant de l’engagement collectif. Laissez donc les commandes arriver directement dans les cellules productives, laissez ces cellules désigner comme « coordinateur » un des leurs (qui peut changer tous les mois par rotation), laissez ces cellules décider librement et collégialement du nombre d’équipes, de leur rythme d’alternance, des congés, de l’implantation des machines, des modifications de process, des investissements... 

Puis n’oubliez jamais qu’un patron doit porter un rêve partagé. Le nôtre, par exemple, est de rester vivre et travailler dans notre village. 

Propos recueillis par A.-S. N.

 

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