Les mots sont des armes et ont parfois un pouvoir pervers. Que ne dit-on, et n’écrit-on, depuis quelques années de « l’islamisme », systématiquement associé à un concept religieux cruel et impérialiste, que d’aucuns utilisent abusivement pour stigmatiser l’ensemble de ceux et de celles qui adhèrent à la troisième religion monothéiste, chronologiquement parlant. Il ne viendrait à quiconque l’idée d’interpréter le suffixe « -isme » du judaïsme ou du christianisme comme porteur d’un potentiel de violence. Et le terme bouddhisme n’a pas davantage de connotation péjorative puisqu’il est presque tacitement convenu qu’il s’agit d’une sorte de religion laïque « bien sous tous rapports », ce qui évite d’avoir à s’interroger sur les réalités guère riantes qu’elle peut encore couvrir dans quelques lointains pays. Gardons-nous de négliger ces subtilités sémantiques. À force de laisser accroire qu’il n’y a pas d’autre islam que « l’islamisme », nous faisons la part belle à ces fondamentalistes musulmans qui ont de leur religion la vision d’un message figé de toute éternité, non susceptible d’évolution et d’aggiornamento, associé à l’idée d’un expansionnisme violent et planétaire. Ceux-là peuvent être qualifiés de « djihadistes », de ceux qui outrepassent le djihad intérieur, celui du cœur et de l’élévation, au profit de celui de l’épée.

En pratiquant ces amalgames, nous ne faisons qu’encourager l’irrésistible envie des convertis de fraîche date, d’en faire bien davantage que les vrais, purs et durs croyants de toujours. Dans l’Église primitive, les néophytes n’étaient pas les moins ardents à vouloir défier les autorités et à s’exposer au martyre, à la grande consternation d’une hiérarchie ecclésiale infiniment plus prudente.

Bon nombre de « djihadistes » contemporains sont des convertis de très fraîche date. Certains veulent s’arracher à leurs racines françaises et chrétiennes profondes au profit du ­Coran, comme d’autres jadis allaient au stalinisme, pour trouver un ­absolu contrastant avec la perversion des valeurs dans lesquelles ils ont été – mal – éduqués. D’autres sont musulmans d’origine, traversent une crise identitaire comme on vit celle de l’adolescence, deviennent des born again qui confondent l’Histoire avec des feuilletons prétendument historiques, avec les prêches enragés de certains téléprédicateurs du Golfe, ou avec des images prometteuses diffusées par les réseaux sociaux. Ils affirment renouer ainsi avec une arabité originelle perdue par leurs pères. Illusion tragique ! Pour les dirigeants de Daech, ils sont moins des frères, des co-Arabes, que des supplétifs de souche maghrébine lointaine, considérés par leurs nouveaux maîtres comme des Arabes et des ­musulmans de seconde zone. Certains sont même d’origine berbère, de ces Berbères dont Ibn Khaldoun, historien, philosophe arabe, précurseur de la ­sociologie ­moderne, répétait qu’ils avaient l’apostasie dans le sang.

Qu’ils soient post­adolescents, au chômage, victimes d’une société malade et pervertie ou en quête de leurs origines profondes, ils rejoignent Daech avec l’obligation du zèle, et la conviction qu’on s’arabise et s’islamise plus et mieux en décapitant l’infidèle. Ces croyants de seconde zone peuvent donc être envoyés en première ligne, pour ainsi économiser le sang des « vrais musulmans », trop précieux pour être gaspillé contre les chrétiens, Kurdes, yazidis, Turkmènes et musulmans chiites.

Le Talmud affirmait que le grand prêtre ne pouvait se tenir au même endroit qu’un converti. Ce n’était point parce qu’il était inférieur en vertu mais, disaient les mauvaises langues, en raison de l’odeur de soufre qui s’exhalait de ce prosélyte fanatique. On ne savait pas Daech lecteur du Talmud.

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