Quand on dit que le discours du Rassemblement bleu Marine est différent de celui du Front national, qu’il a « évolué », c’est faux à plusieurs titres.

D’abord sur l’immigration. Il existe une extraordinaire stabilité sur ce thème depuis cinquante ans. Les positions sont toujours les mêmes : il faut fermer les frontières aux immigrés qui prennent le travail des Français ; nous serons envahis et nous n’aurons plus accès à notre culture, selon ce que certains milieux d’extrême droite appellent la théorie du grand remplacement [d’après l’écrivain Renaud Camus, les Français de souche seraient progressivement remplacés par les minorités visibles noires et maghrébines]. Mme Le Pen réclame la fermeture des frontières, la suppression de l’espace Schengen. Comme son père.

L’autre constante touche à la sécurité. Les vieux partis enfourchent aussi, hélas ! cette thématique. Le ­Rassemblement bleu Marine s’en donne à cœur joie pour amplifier le sentiment d’insécurité. Il l’associe à un discours anti-jeunes – sous-entendus « jeunes issus de l’immigration ». Dans la bouche de Mme Le Pen, la jeunesse, quand elle n’est pas « franco-blanche », est nécessairement menaçante. 

Quant au racisme, qui est la troisième constante, il désigne chez elle des boucs émissaires différents selon les publics et selon les circonstances. C’était déjà vrai dans les discours de son père. L’antisémitisme aussi reste stable. Jean-Marie Le Pen l’exprimait parfois de façon très provocante, pour rassurer ses troupes, souvent de façon codée, en parlant par exemple du B’nai B’rith, la loge maçonnique juive new-yorkaise. Il la citait comme l’emblème du lobby absolu. Cela lui suffisait à montrer qu’il avait toujours les mêmes ennemis. L’antisémitisme est moins affirmé chez Mme Le Pen, mais il existe. On le rencontre sur les sites du FN, à travers des allusions aux lobbies (toujours juifs), en particulier à propos du conflit ­israélo-palestinien. Depuis le xixe siècle, l’extrême droite a les mêmes ennemis culturels, essentiellement les juifs et les francs-­maçons. Ces deux communautés ont montré qu’il était possible de se définir en dehors de son sang et de son appartenance ethnique. à cette époque, être juif ou franc-maçon était un choix culturel. Pas un choix patriotique, nationaliste ou biologique. Ces appartenances contrecarraient tous les discours en défense de la nation, de la patrie et de la hiérarchie raciale de l’époque. Et Mme Le Pen continue à évoquer ces « groupes qui agissent dans l’ombre » sans avoir besoin de les nommer précisément.

C’est un autre invariant de son discours : la théorie du complot. ­L’extrême droite a besoin d’une société du troupeau, suivant aveuglément son chef qui la protège contre le complot. Et la preuve du complot, c’est qu’on ne peut pas le prouver. Pour Mme Le Pen, il existe des forces obscures, des centres de décision d’où les citoyens sont exclus. Notre problème est que le modèle démocratique et républicain n’est pas rassurant. Il dit : « Vous êtes libre et responsable de vos actes et de leurs conséquences. Si vous échouez, c’est aussi de votre faute. » ­L’extrême droite dit autre chose : « On vous protège, vous n’êtes responsable de rien ; si ça va mal, c’est la faute du complot. » Il y a trop longtemps que les démocrates et les républicains n’ont pas expliqué l’intérêt d’être libre et responsable. Le discours de la liberté et de la responsabilité individuelle n’est plus explicité, comme si cela allait de soi. Avec l’extrême droite, c’est toujours la faute des autres. Alors qu’en démocratie, c’est aussi la responsabilité de chacun. 

Nous assistons, hélas ! à l’affadissement du discours républicain. Il ne défend plus des valeurs mais des règles de comptabilité. Qui parle d’éthique ? À droite, Philippe Séguin n’est plus là. Quant à la gauche ?… Son silence est assourdissant !

À vouloir ne pas diaboliser les électeurs du FN, on les a infantilisés : « Ils ne savent pas ce qu’ils font ! » À trop se concentrer sur les électeurs des classes populaires, on en a oublié tous les autres qui votent pour l’extrême droite depuis longtemps et qui entendent continuer.

À mesure qu’elle va s’approcher du pouvoir, Mme Le Pen ne pourra pas se passer des différents groupes qui la soutiennent : religieux intégristes, racistes, antisémites, fascistes ou néonazis. Mais le fond n’a pas changé, et la forme à peine. 

Propos recueillis par E.F.

Vous avez aimé ? Partagez-le !