Tous les clignotants sont au rouge. Mais c’est ­l’intensité du rouge qui a viré. Du rose pâle, qui laissait encore une lueur d’espoir, on est passé au rouge vif qui n’était pas celui des lendemains qui chantent, et maintenant au rouge écarlate, couleur de sang et de violence. Le chômage, l’investissement, le commerce extérieur, le déficit public, chaque ­publication des chiffres qui les concernent alimente un peu plus le climat de ­défiance qui paralyse le pays. Des erreurs de communication ont été fatales au président de la République, dont la plus importante sur l’inflexion de la courbe du chômage. 

À droite, on a crié aux mensonges. À gauche, on a réclamé un changement de cap. Depuis si longtemps qu’on nous parle de vérité sans nous la dire, le moment est venu de faire le point avec lucidité. 

Nous vivons une époque historique. 

La mondialisation à marche forcée dont on a refusé, surtout en France, de tirer les conséquences a changé la donne. La croissance soutenue, ce n’est plus dans nos vieux pays d’Europe qu’elle se poursuivra mais dans les pays émergents : en Afrique, en Amérique du Sud, en Asie, avec une Chine qui tend à devenir la première puissance du monde, forte de son milliard et demi d’habitants. 

La montée en puissance dans ces pays d’une classe moyenne, qui aura d’immenses besoins à satisfaire, est à peine ressentie alors qu’elle nous offre tant d’opportunités. Comment, pour notre pays, se replier sur l’Hexagone, comme l’extrême droite nous y invite avec tant d’aveuglement ? Nous semblons découvrir, dans les difficultés du présent, le laxisme des dernières décennies :

– la pesanteur d’une administration, héritée de notre histoire, que la Révolution n’a pas modifiée. Une administration pléthorique, avec les effectifs les plus nombreux de l’Union européenne ; 

– la lourdeur d’un centralisme jacobin que la régionalisation n’a pas diminuée. Avec le millefeuille des centres de ­décision (la commune, la communauté de communes, le département et la région) dont l’allègement nécessaire se heurte encore aux egos d’élus de droite et de gauche. Rappelons à ce sujet que les rapports Gallois et Fauroux, venant ­compléter les plus anciens (notamment le rapport Rueff-Armand), n’ont jamais eu un début de concrétisation et dorment dans les armoires. Depuis trois décennies, la France vit sur son passé, dépense plus qu’elle ne gagne, cigale orgueilleuse, et creuse sa dette publique. 

Plus près de nous, un système éducatif égalitariste qui, souhaitant réduire les inégalités, n’a fait que les renforcer. 

Peut-on encore, dans ces conditions, redresser la France et comment ? 

Le président s’en tient à son objectif : le pacte de responsabilité, tout le pacte, rien que le pacte. Le pacte a été, au départ, une bonne orientation basée sur des idées simples. Seule l’entreprise est créatrice d’emplois et il faut l’encourager, car les charges auxquelles on la soumet ne lui permettent pas d’être concurrentielle ; nous avons un problème crucial de compétitivité. Modifier les 35 heures, qui pèsent tant sur l’entreprise, on ose à peine l’évoquer de crainte de voir se dresser des barricades. D’ailleurs, ­Sarkozy s’est bien gardé d’y toucher. Il y a des ­tabous auxquels on ne s’attaque pas. Mais qu’en pense le peuple ? Quel dommage qu’on ne l’ait pas consulté. 

La France est aussi un des rares pays où la durée du travail est fixée par la loi, ce qui est contraire à l’enjeu de flexibilité. Comme le dit Pascal Lamy, mieux vaut un petit boulot, que pas de boulot du tout. 

Les dépenses de l’État sont trop lourdes et ne permettent pas de réduire notre déficit. La réduction prévue de 50 milliards d’euros jusqu’en 2017 doit être impérativement maintenue. Pour la rendre crédible, il est nécessaire d’acter, de dater et de tenir cet engagement de manière absolue. Ces orientations du pacte de responsabilité, annoncées depuis le 1er janvier, étaient frappées au coin du bon sens, mais il fallait aller vite et fort, ce qui n’a pas été le cas, après dix-huit mois d’aveuglement. Et puis, pour être parfaitement crédible, le changement de cap aurait mérité une explication franche. 

Nous nous sommes trompés :

– nous avons sous-estimé la crise ; 

– nous avons fait des promesses que nous ne pouvions pas tenir ; 

– la situation générale, et particulièrement en Europe, s’est dégradée beaucoup plus que prévu. 

Pour tenir le pari d’un mieux-être d’avenir dans une société apaisée, il faut aujourd’hui faire encore des sacrifices, alors que les précédents ont été plus ressentis que vécus. Faute de cet effort de clarification, une partie importante du peuple de gauche s’est sentie trompée, abandonnée et s’est détachée de tout engagement, sauf pour une minorité qui est allée rejoindre les extrêmes. Dans ce paysage politique désolant, l’annonce le 15 août d’une croissance nulle a fait l’effet d’une bombe. 

Même les instituts de conjoncture, pourtant les mieux placés, paraissaient surpris par l’ampleur du désastre. Et chacun d’en rajouter :

– la gauche de la gauche, syndicats en tête, pour stigmatiser la mauvaise orientation du pacte de responsabilité alors qu’il est à peine mis en place ; 

– les responsables de la politique du logement, qui est l’un des plus lourds échecs du précédent gouvernement avec Cécile Duflot, pour se défausser sur une prétendue austérité ; 

– les ténors de la droite allant jusqu’à réclamer une dissolution de l’Assemblée nationale ou à parler d’une réduction de 100 milliards des dépenses publiques, ce qui est aberrant. 

Que faire, dans ces conditions, pour que la cinquième puissance mondiale ne devienne pas rapidement la sixième ? 

D’abord assouplir la rigidité de notre système social qui étouffe nos PME et TPE qui doivent avoir un délégué du personnel au-delà de 10 salariés et un comité au-delà de 50. Ce n’est là qu’un exemple de l’absurdité. Et sur ce plan, laisser les acteurs économiques négocier entre eux au lieu de légiférer à tour de bras et d’accumuler les règlements. 

Ensuite ne pas donner aux syndicats une importance qu’ils n’ont plus sur le terrain (8 % des salariés avec six syndicats désunis), et rendre aux entreprises le désir d’investir par une reconnaissance forte du statut de l’entrepreneur qui assume les risques. 

Enfin, afficher la volonté d’affronter courageusement les frondeurs de la gauche et autres nostalgiques du passé révolu des Trente Glorieuses et de l’État-­providence. Le président ne peut plus, aujourd’hui, continuer à jouer un rôle d’arbitre entre toutes les composantes de sa majorité, et tempérer les effets d’une proposition libérale par une autre beaucoup plus dirigiste (exemple : le pacte de solidarité face au pacte de responsa­bilité). La multiplication des pactes nuit à leur crédibilité. Il faut choisir. 

Choisir pour François Hollande, cela veut dire dès maintenant obliger les frondeurs à s’aligner ou à se ­démettre, cela veut dire encore affronter ­Martine Aubry, qui fut le principal soutien de Cécile Duflot et qui n’a cessé, avec toute l’autorité de son passé, de s’opposer au virage qu’il souhaitait prendre et à la venue de Manuel Valls. C’est un défi considérable et même ­risqué. Mais il n’y a pas d’autre issue dans l’immédiat. 

Alors peut-on redresser la France ? On peut au moins freiner la descente aux enfers. Ce qui nous est proposé n’est pas l’austérité, comme se plaisent à le souligner les esprits chagrins, mais la rigueur et la discipline, ce qui est tout différent. Et comment la redresser ? Le pacte de responsabilité a frayé une voie. Elle est exigeante mais il n’y en a pas d’autre et tous ceux qui s’y opposent portent une énorme responsabilité. L’amélioration de notre économie doit être le premier souci de la rentrée auquel tout doit être subordonné. Nous avons le devoir de ne pas sombrer dans un pessimisme délétère comme nous avons celui de ­dénoncer avec virulence les démagogies de droite et de gauche. Nous pouvons aussi déplorer une autre forme ­d’exception française : la gauche n’a pas suffisamment intégré la culture de gouvernement et se trouve bien plus à l’aise dans l’opposition.

Le pacte de responsabilité n’est pas un choix de société mais l’obligation ­ardente du moment. Que nous dit la bombe Macron ? Avec élégance et sérénité, rien d’autre que 2 + 2, ça fait 4.

Vérité et courage, voilà les maîtres-mots.

Courage d’affronter sa famille politique quand celle-ci vit encore sur les vieux schémas des Trente Glorieuses et d’un assistanat que nous n’avons plus les moyens de supporter. Ce sont les conditions nécessaires pour dissiper le climat de défiance qui nous paralyse. Du pacte de responsabilité, tant invoqué, tant critiqué, on attend non plus des intentions, mais des actes. Quelques mesures simples, actées et datées, susceptibles de créer un choc dans l’opinion loin des débats politiques stériles. 

C’est plus qu’urgent, c’est urgentissime. Tout cela oblige à une politique de salut public avec, on peut encore l’espérer, l’appui de dirigeants politiques responsables de droite et de gauche, et celui de nos experts les plus éclairés : Pascal Lamy, Hubert Védrine, Jean ­Peyrelevade…

Et puis, n’est-il pas aussi temps de changer de logiciel ? Oui, la valeur travail doit être réhabilitée face à l’assistanat. Oui, il y a de la noblesse à entreprendre et créer des richesses, à innover dans un monde aussi changeant. Oui, il faut mettre un terme à un égalitarisme qui nous tire vers le bas, en faveur de l’épanouissement de l’individu. L’enthousiasme suscité par les déclarations de Manuel Valls en faveur de l’entreprise au Medef, comme l’accueil fait à l’entrée au gouvernement d’Emmanuel Macron, sont des signes forts qui relèguent très loin les protestations de gauche et de droite. Ces signes, il convient de les capitaliser rapidement. 

N’oublions pas que notre avenir est lié à celui de l’Europe. Jamais nous n’avons eu autant besoin d’Europe. Et ceux qui tentent d’expliquer nos déboires par nos engagements contractés vis-à-vis d’elle sont dans l’erreur où dans la mauvaise foi. Nos mauvais résultats sont d’abord de notre fait.

L’urgence ne doit pas nous faire ­oublier qu’on ne réveille pas une opinion ­publique anesthésiée sans dessiner une vision d’avenir. 

Devant les périls qui nous menacent, toutes les forces de progrès doivent se mobiliser :

– pour lutter contre le climat délétère d’abandon qui ouvre les portes à la ­percée du Front national ; 

– pour favoriser l’innovation et l’imagination créatrice ;

– pour clamer haut et fort que rien n’est réellement perdu mais qu’il est urgentissime de mettre en place les réformes. 

Le choix des mots n’est pas négligeable.

Le social-libéralisme a une connotation droitière qui fait grincer les dents du peuple de gauche.

La social-démocratie, vocable qu’une partie de la gauche française a mis tant de temps à réhabiliter, ne correspond pas vraiment à la réalité du moment.

Alors, on pourrait peut-être rassembler ceux qui ne désespèrent pas autour d’un social-réformisme annonçant enfin des réformes qui ne peuvent plus attendre. 

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