Que pensez-vous du « déclin français » ? Est-ce une réalité ?

Dans un contexte de ralentissement de la croissance mondiale, l’économie française a ses faiblesses, cela ne fait aucun doute. Sa principale fragilité est liée à une demande de produits et services insuffisante. La France a conduit une politique d’austérité excessive sous la forte pression exercée par l’Allemagne. 

Les problèmes ne viennent donc pas tant de la France que de l’Union européenne. Presque tous les autres pays membres souffrent aussi, ce qui montre qu’il ne s’agit pas d’une maladie française. Dans le contexte d’un large cadre européen en manque de véritable union bancaire et d’une absence de stratégie de croissance et de flexibilité face aux tensions, ­l’austérité n’est pas la solution. Elle ne fait qu’aggraver la situation. 

S’agirait-il davantage d’un déclin européen ?

Le déclin économique de l’Europe n’est pas une fatalité. Tout dépend de sa capa­cité à changer son approche : si elle n’adopte pas une stratégie de croissance et ne met pas rapidement en place une réelle union bancaire, si elle ne réforme pas la zone euro plutôt que les économies natio­nales, alors je pense qu’elle s’achemine vers cinq nouvelles années de stagnation.

La France a-t-elle une chance de redresser son économie sans l’aide de l’Union européenne ?

Le pacte de compétitivité français a échoué en raison de son manque de flexibilité et d’un taux de change surévalué. Mais cela n’explique pas tout : il sera très difficile pour la France de s’en sortir par elle-même. Le pays est trop intégré. Le redressement solide de l’Hexagone n’aura pas lieu sans un redressement de l’Union européenne dans son ensemble.

En revanche, la France peut aggraver son cas si elle s’engage dans des politiques de coupes des dépenses ou d’aggravation de l’austérité. Le Prix Nobel d’économie Trygve Haavelmo a prouvé qu’il est possible de stimuler l’économie et d’accroître la richesse nationale en augmentant conjointement les impôts et les dépenses publiques. La France, elle, augmente les impôts et réduit ses dépenses, ce qui affaiblit son économie.  

Quelle politique l’Union européenne peut-elle développer ? 

Il faut une politique globale pour réformer et structurer l’euro, avec une union bancaire disposant d’un fonds de garantie de dépôts commun, des euro-obligations, davantage de fédéralisme fiscal, et des ­politiques industrielles plus énergiques. La Banque centrale européenne ne doit pas seulement se concentrer sur ­l’inflation, mais aussi travailler à des politiques de croissance. Il y a de nombreuses choses à faire pour redresser l’économie européenne.

Pourquoi l’Europe n’a-t-elle pas encore pris ces initiatives ?

En grande partie à cause de l’Allemagne et de quelques autres pays qui s’arcboutent sur une mauvaise théorie et encouragent des politiques économiques inadaptées. Je trouve étonnant que l’on pratique encore l’austérité, que l’on continue d’y croire, quand nous savons tous que c’est une option qui ne fonctionne guère.

La croissance ne repartira-t-elle donc jamais ?

Il est inutile de déprimer : la croissance repartira lorsque l’on prendra conscience que la politique encouragée par ­l’Allemagne est mauvaise. J’espère que des changements auront lieu à ce moment-là… C’est encore ce que les ­Européens peuvent espérer de mieux !

Il y a quelques années, vous avez travaillé avec Jean-Paul Fitoussi et Amartya Sen sur un rapport au sujet d’indicateurs de croissance alternatifs. Devrions-nous nous baser sur des indicateurs différents aujourd’hui et changer progressivement la manière dont nous regardons l’économie ?

Sans aucun doute ! Il est commun ­d’associer l’augmentation du PIB à celle de la productivité. Pourtant, la productivité peut diminuer sans que le PIB baisse lui aussi, comme c’est le cas lorsque les travailleurs décident de travailler moins et d’accorder plus de temps aux loisirs.

Cette erreur vient de la manière de calculer le PIB : il ne prend pas en compte, par exemple, la qualité ou l’efficacité du secteur de la santé. Résultat : les États-Unis, dont le système de santé est bien moins efficace que celui de la France, ont, pour cette raison même, un PIB nettement meilleur. 

Donc à mon sens, si le PIB reste un indicateur clé, il ne peut refléter à lui seul la complexité de notre économie. De nombreux autres indices peuvent être utilisés afin de mieux apprécier la santé de l’économie mondiale tels le salaire moyen, le développement durable, ou encore le bien-être. Il serait temps, en ce sens, d’adopter un tableau de bord avec différents indicateurs de richesse !  

Propos recueillis par ANNE-SOPHIE NOVEL
Traduction de l’anglais par MANON PAULIC

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