– Ce n’est pas une question de redressement. Nous ne sommes pas avachis. Nous sommes simplement petits. Tandis que les autres croissaient démesurément, nous sommes restés à notre taille. Il ne faut pas nous redresser. Il faudrait nous rehausser. Mais bon, on ne va quand même pas mettre des talonnettes.

– Ce n’est pas une question de taille. Vous connaissez la Reine rouge dans Alice au pays des merveilles ? Il faut courir de plus en plus vite pour rester sur place. On est vieux. Donc on est lents.

– Liberté, Égalité, Fraternité. C’est vrai que ça date.

– Ça date peut-être. Mais ça a de la gueule ! 

– La question est : comment convertir cette devise en devises ?

– Il faut accepter notre taille réelle. Nous sommes des géants théoriques, mais des nains économiques. Comme disait Houellebecq, l’avenir de la France, ce n’est plus l’industrie, c’est le tourisme et le musée. La France va devenir une sorte de grand parc d’attractions avec du bon vin, de l’art et des paysages de qualité pour touristes fortunés. 

– Il faut aller plus loin. L’exception culturelle française, c’est à la fois ce qu’on ­appelle la qualité de vie, et tout ce que le libéralisme contemporain considère comme des aberrations et rêve de supprimer : le droit de grève, la sécurité de ­l’emploi, les congés payés, la Sécurité sociale, les 35 heures. Je crois qu’il faut considérer ces anomalies comme des œuvres d’art, des créations un peu dingues et géniales, nées d’un idéalisme suranné, mais qui auraient le charme d’un objet d’époque. Comme une photo de Doisneau, ou un tableau de Dalí. Il faut les classer comme richesses du patrimoine, et les exploiter comme telles. Plutôt que réformer, il faut muséifier.

– C’est vrai. Nos archaïsmes valent le détour. À Budapest, ils font payer l’entrée de l’ancien siège de la police secrète, où régnait la torture. On dirait un mélange de boîte de nuit et de musée des horreurs. La France pourrait devenir le musée de la Liberté !

– Bonne idée. Plutôt que vendre le PSG et les Champs-Élysées au Qatar, on devrait leur vendre la Liberté. Ça vaut quand même beaucoup plus, non ?

– Ça n’a pas de prix.

– La question, justement, c’est : combien ?

– Il ne faut pas leur vendre. Il faut juste leur faire visiter. Venez voir le dernier pays où on a à la fois le droit de grève, la Sécurité sociale et la liberté de la presse ! S’ils veulent la même chose chez eux, on exporte. Le Louvre a bien ouvert une franchise à Abu Dhabi. Si le Qatar veut importer le droit de grève comme un produit de luxe français, pas de problème. On lui envoie nos experts syndicalistes, et on facture ! On fait coup double : on délocalise nos conflits sociaux, et on engraisse les syndicats. Tout le monde est content !

– On fait même coup triple : on achète la paix sociale en France, on fait rentrer des devises, et on fait progresser les libertés en Chine et au Qatar. La liberté, le luxe ultime ! Un sac Vuitton, ça se trouve n’importe où, mais une grève digne de ce nom… RATP, SNCF, Éducation nationale, notre savoir-faire n’a pas d’équivalent dans le monde. Nous sommes à l’abri de la contrefaçon. La France, c’est quand même le pays du luxe ET des droits de l’homme, merde !

– Bien dit ! Et les droits de l’homme, ça n’a pas de prix !

– Je ne sais pas si la CGT sera d’accord pour facturer son expertise en agitation sociale.

– La CFDT les convaincra. Quand je pense à tous ces abrutis qui pensent faire des économies en mettant à mal le système social français ! Il faut au contraire le préserver et l’exploiter comme une ressource naturelle rare. Puisqu’ils ont du pétrole, on va leur vendre nos idées !

– Exactement. Ce qu’on présente comme notre faiblesse est notre force. Florange, Gandrange, la fermeture des hauts-­fourneaux, notre industrie agonisante… c’est une mine d’or. La France peut devenir le tour operator leader dans les mouvements sociaux. Venez visiter une usine occupée, prenez des photos du ­patron séquestré, brûlez des pneus avec les manifestants licenciés… On peut imaginer des voyages combinés : moitié mouvement social, moitié dégustation de grands crus bordelais rachetés par des Chinois… 

– On a été cons de dégager Montebourg. Il suffisait de lui attribuer un ministère du Tourisme postindustriel, ou un secrétariat d’État aux Espèces sociales en voie de disparition. 

– Oui, si on s’en donne les moyens, on peut être non seulement les pandas de ­l’Europe, mais du monde entier ! ­Houellebecq avait raison, la France doit devenir le musée d’elle-même. Et son propre zoo.

– Un Disneyland social ! Où chaque emploi détruit se transforme comme par magie en emploi créé ! Vous venez d’être licencié comme ouvrier par Mittal ? Jouez votre propre rôle dans un spectacle de rue digne du Moulin-Rouge ! Vous étiez précaire ? Devenez intermittent !

– Pôle emploi ne sera plus qu’un magasin de mauvais souvenirs ! 

– Tout ça grâce à Houellebecq ! Il faudrait le nommer ministre du Redressement national. 

– Houellebecq ? Ministre ? Du Redressement ? Avec son fond dépressif ?

– Roosevelt a bien redressé l’Amérique du fond de sa chaise roulante.

@opourriol

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