Il existe un travail permanent de réflexion sur l’acte d’apprendre et de transmettre au sein de la communauté éducative d’un établissement scolaire. Quelles matières enseigner ? On peut citer les disciplines du droit, de l’anthropologie, de l’ethnologie, de la sociologie : enseignées à l’université, elles pourraient être étendues de la maternelle au secondaire mais s’agit-t-il d’en faire des matières avec des programmes ? D’autres, déjà présentes sous forme de matières dès le secondaire pourraient être généralisées avec un volume horaire plus conséquent : la technologie, la création artistique, la philosophie. Mais ce qui peut permettre de donner du sens au savoir et à l’acte de transmission et donc de relier les disciplines autour d’un même objet, c’est peut-être la technique et la création artistique.
Il existe pour cela la pédagogie par projet. Ce qui peut donner sens aux apprentissages à l’échelle globale d’un établissement, c’est la coopération à l’intérieur d’un groupe, d’une classe, avec un ou plusieurs professeurs ou avec un autre adulte, mais aussi d’élève à élève et plus encore au sein de l’organisation globale d’un établissement, ce que l’on appelle la pédagogie institutionnelle. On ne peut pas demander aux élèves des vertus de coopération, d’autonomie, de réflexion, de pédagogie, de sociabilité et d’émancipation sans que les personnels ne travaillent pas, ne pratiquent pas eux-mêmes de manière ritualisée ces mêmes vertus au niveau de l’organisation globale de l’établissement.
C’est peut-être cela faire société : montrer que transmettre et apprendre ne peuvent se faire que collectivement à l’échelle d’une micro société qu’est l’établissement scolaire.

Adeline Besson
Professeure d’Arts plastiques, membre du Collectif pour un collège coopératif et polytechnique (Aubervilliers)



Ce qui suit frôle l’évidence autant que la révolution. L'école doit enseigner ce qui permet de s’insérer dans le siècle: faire nation, comprendre les autres, savoir communiquer. Pour faire nation, nous remettre perpétuellement d’accord sur un même contrat social, sont nécessaires l’histoire, la langue nationale, les lettres et le droit. Pour comprendre les autres, sont fondamentales les langues étrangères, les cultures, et tout ce qui les véhicule (arts, langues anciennes, philosophie). Pour communiquer par tous les moyens, il faut posséder ce qui permet de rendre visibles les projets communs (économie, et géographie, souvent oubliée), de s'exprimer dans un même langage (mathématiques, sciences, sports) et en utilisant les mêmes outils (rhétorique, informatique).
La République comme les religions prônent respect de soi, des autres et de la loi, honneur des parents, amour du savoir, esprit critique, liberté sans anarchie, équité plus qu’égalité, fraternité sans mollesse face aux ennemis de ce qui précède. L’école ne peut pas enseigner tout cela, mais le peut un peu. Comme les parents. Comme ces exemples tour à tour honnis et admirés : le professeur, le religieux, le journaliste, le chef d’entreprise, l’élu et le savant. A eux de rappeler que l’on ne peut pas tout faire, ni penser à tout, que tout ne peut pas être vite appris au risque d’être mal compris, qu’une promesse est un mensonge, et qu’un savoir s’oublie.
Si l’école peut jouer un rôle dans le maintien ou la transformation sociale, c’est en appliquant, acteur par acteur, les vertus qu’elle désigne à l’exemplarité : l’écoute de l’autre, la sobriété de soi, la rigueur des actes. Il existe des dizaines de méthodes pour les transmettre, toutes valables. Mais l’on ne transmet rien d’autre que soi.

Hugo Billard
Professeur de géographie et d’histoire, lycée militaire de Saint-Cyr-l’Ecole.

 

L’enseignant a sans doute pour mission principale d’éveiller (ou pour le moins de ne pas endormir) le désir de savoir et de comprendre des enfants ou adolescents dont il a la charge.
Les obstacles sont nombreux : dévalorisation de l’effort intellectuel (particulièrement sensible à l’adolescence et dans certains milieux sociaux), concurrence déloyale des téléphones portables, remise en cause globale de la légitimité des services publics... Voilà le professeur chargé d’une bonne dose de méfiance, peu propice pour mener à bien sa mission.
Il ne lui est pourtant pas impossible de montrer le savoir comme un objet digne de désir. Les modalités pour y parvenir sont nombreuses et il est sans doute préférable de les varier. Par le cours magistral, si décrié, l’enseignant passionné peut démontrer le plaisir de maitriser et de transmettre des savoirs. A l’opposé, la délégation (temporaire et organisée) du cours aux élèves, chargés de le mettre en place du début à la fin, les sort du rôle de consommateurs et de spectateurs, pour en faire des acteurs de l’élaboration et de la transmission des savoirs. Sans jamais les sacraliser, les TICE, ces outils qui tout à la fois dispersent et concentrent l’attention, sont autant de moyens de rendre les savoirs et leur maîtrise désirables, tout comme les activités de groupe, fondées sur l’égalité des intelligences chère à Jacotot. Enfin, la pédagogie du détour doit devenir bien plus centrale dans notre enseignement : un potager, par exemple, peut arracher efficacement les élèves à la dictature de la jouissance immédiate et à l’illusion d’un présent auto-suffisant.
En valorisant sans cesse l’ensemble des savoirs et savoir-faire comme des facteurs d’émancipation individuelle et collective, en insistant sur la longue durée, on s’opposera aux pièges du consumérisme et du présentisme qui rongent notre système éducatif et toute notre société.

Christophe Cailleaux
Enseignant d'Histoire-Géographie en lycée, à Chevigny-Saint-Sauveur (agglomération de Dijon)    



Enseignant en collège, j’ai débuté ma carrière en lycée, celui où j’avais étudié. Mon professeur de Terminale y est devenu mon tuteur puis, l’année suivante, un collègue.
À l’époque de mon stage, l’institution souhaitait la mise en place de projets « pluridisciplinaires » : le mot était à la mode et, vue la charge de travail qu’il nécessitait, il agaçait quelque peu les débutants que nous étions.
Cette année-là, j’avais donc mis sur pied, avec une collègue de français, elle aussi stagiaire, un projet sur le thème du développement durable (une autre mode) autour du film d’Al Gore. Nous avions mêlé deux classes, projeté le film en salle de conférence puis fait travailler les élèves en petites groupes sur des thèmes différents. Ces travaux donnèrent lieu à une exposition qui permettait d’informer les autres lycéens sur ce sujet.
Travail en équipes, mobilisation sur un thème, visibilité dans l’établissement : les élèves adhèrent… et adorent !
Si bien que, six ans plus tard, ce type de projets (qui croisent deux matières ou plus) restent un moteur de ma pédagogie. Et il est même possible de la pratiquer dans une seule discipline : j’ai souvenir, avec une classe de première, d’avoir mené un grand débat d’éducation civique. Dans l’amphithéâtre, les élèves jouaient des rôles, préparés en amont : ministres, députés de la majorité ou de l’opposition. Le but était de débattre d’un sujet d’actualité et d’aboutir au vote d’une loi, pour apprendre le fonctionnement des institutions.
C’est par une pédagogie de projets, qui casse le système « classe », que nous formons le mieux de futurs citoyens responsables, capables de se faire une opinion sur un sujet qu’ils ramènent ensuite à la maison : l’école se trouve alors au cœur de la société. C’est l’une de ses plus belles missions !

Aurélien Royer
Professeur d'Histoire-Géographie / formateur académique dans l'académie d'Amiens


 
Poser la question de la méthode en éducation est légitime par les temps qui courent. Rien n’est plus désolant qu’un potentiel décimé par un plan de formation pourtant éprouvé. Que devrions- nous faire apprendre à nos enfants et, surtout, comment le faire? Ces questions ne peuvent être résolues sans connaître le but de l’éducation. La fin justifiant les moyens. L’éducation a pour but premier d’éveiller un individu à sa propre nature, soit son humanité, et par la suite à un métier. Former un être humain, c’est lui donner le nécessaire pour qu’il devienne humain: soit en rendant actif l’intelligence pour certains; la liberté pour d’autres. Puisque l’homme reste à faire, naissant complètement nu, il a besoin d’un maître sur lequel il pourra grimper sur ses épaules pour voir plus loin. Éduquer, c’est tout d’abord éveiller le désir et seul un maître, ou un modèle, peut et sait le faire. Autrement, le terreau si fertile de l’enfant restera en friche livré, bien démuni, aux forces de la doxa. Le défi de l’école aujourd’hui en est donc un d’éducation, au sens fort du terme. La sur-spécialisation n’élève pas en creux nos jeunes, elle les programme. L’homme est ainsi complexe qu’il a besoin d’un savant mélange de nature et de culture pour faire émerger sa pleine potentialité. Nous avons oublié ces principes de base issus des plus grandes traditions de l’éducation au profit d’une pensée mécaniste facile à gérer et dans laquelle on ne se soucie plus de l’être humain en devenir.

Joëlle Tremblay
Enseignante de philosophie au Cégep de Granby, philosophe-en-résidence chez -f. & co, Québec 

 

Suis-je clerc ?
Les pratiques numériques ont changé le monde et si l'éducation a toujours pour but d'aider les élèves à devenir des adultes intellectuellement autonomes, nous devons dépasser l'ère du savoir pour entrer dans l'ère de l'accès au savoir, de sa recherche, de son organisation, de sa publication et de son partage. Désormais, il ne s'agit plus seulement de vivre ensemble mais de faire ensemble, parions que le second facilitera le premier.
Nos élèves ont beaucoup à gagner si nous les amenons à se rassembler autour de productions collectives. Pour rendre ses élèves créatifs le professeur devra l'être davantage. Cette pratique pédagogique demande souvent l'abandon de la posture frontale du professeur afin que les élèves se retrouvent enfin face à eux-mêmes plutôt qu'à un tableau qui n'a d'interactif que le nom. Il faut enseigner nouvellement nos vieilles disciplines en intégrant davantage la culture et la citoyenneté numérique et plus particulièrement l’esprit critique, la responsabilisation des publications, le transmédia.
Quant à dire qu'il est essentiel d’enseigner le code, j'ai encore du mal à l'accepter mais il est sûr que les clercs du Moyen Âge se distinguaient des autres parce qu’ils maîtrisaient un langage écrit qu'on a fini par apprendre au plus grand nombre. Et nous constatons chaque jour que ceux qui produisent et comprennent les algorithmes ont une longueur d'avance : il sont les clercs du XXIe siècle.

Bruno Vergnes - @bvergnes
Professeur de Français et formateur aux pédagogies numériques pour le CLÉMI (Centre de Liaison pour l’Enseignement aux Médias d’Information)

 

 

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