Les chameaux sont les charrettes du Caire ; ils y apportent toutes les provisions, et en remportent les ordures : les chevaux de selle y tiennent lieu de voitures, et les ânes de fiacres ; on en trouve dans toutes les rues de tout bridés, et toujours prêts à partir. Cet animal, sérieux en Europe, toujours plus triste à mesure qu’il s’approche du nord, est en en Égypte dans le climat qui lui est propre ; aussi semble-t-il y jouir de la plénitude de son existence : sain, agile et gai, c’est la plus douce et la plus sûre monture qu’on puisse avoir ; il va tout naturellement l’amble ou le galop, et, sans fatiguer son cavalier, lui fait traverser rapidement les longs espaces qu’il faut parcourir au Caire. Cette manière d’aller me paraissait si agréable que je passais ma vie sur les ânes : peu de temps après mon arrivée, j’étais connu de tous ceux qui les louent ; ils étaient au fait de mes habitudes, portaient mon portefeuille et ma chaise à dessiner, et me servaient d’écuyers tout le jour : en leur payant courses doubles, ils montaient d’autres ânes, et j’allais ainsi aussi vite qu’avec les meilleurs chevaux, et beaucoup plus longtemps. C’est de cette manière que, dans mes promenades, j’ai fait les dessins du canal qui amène l’eau du Nil au Caire à l’époque de l’inondation.

J’étais fort bien au Caire ; mais ce n’était pas pour être bien au Caire que j’étais sorti de Paris. Il arriva une caravane arabe ; elle venait du mont Sinaï, elle en apportait du charbon, de la gomme et des amandes ; elle était composée de cinq cents hommes, et sept cents chameaux ; c’était une manière bien dispendieuse d’apporter des marchandises qui devaient produire si peu d’argent : mais ils avaient besoin de choses qu’ils ne pouvaient trouver ailleurs, et ils n’avaient que du charbon à donner en échange : quelques-uns des leurs avaient essayé d’escorter des Grecs, un mois auparavant, pour savoir si les Français, maîtres du Caire, ne mangeaient pas les Arabes ; on les avait bien traités, ils arrivèrent en caravanes. Le général en chef désirait que quelqu’un profitât de leur retour pour prendre connaissance de la route de Tor : je fus tenté de faire celle des Israélites ; j’offris au général d’entreprendre ce voyage pourvu qu’il assurât mon retour : il me dit qu’il garderait le chef de la caravane en otage : il riait à mon imagination de penser que de là à douze jours je connaîtrais et j’aurais dessiné les sites de la partie merveilleuse de l’expédition de Moïse depuis son départ de Memphis jusqu’à son arrivée dans le désert de Pharan ; que, sans y rester quarante ans, j’aurais vu en peu de jours le mont Sinaï, traversé un des points de la terre dont les annales remontent le plus haut, le berceau de trois religions, la patrie de trois législateurs qui ont gouverné l’opinion du monde, sortis tous trois de la famille d’Abraham.

Extrait de Voyage dans la Basse et la Haute Égypte, pendant les campagnes du général Bonaparte, 1802

 

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