Qui le sait mieux que nous : le pouvoir est vide
comme un tonneau sans fond. Quoi qu’on y verse,
qu’on répande, qu’on y fourre, il n’en sera pas plus
rempli d’un pouce. Il peut jeter la moitié du pays
dans un sac et le tout dans l’eau, il peut mettre les nourrissons à la chaîne
ou parcourir à bord d’un tank tout l’hémisphère –
pas de repos. Pas même en rêve.
En rêve il voit ce qu’il aura sous la main,
ce qu’il doit avoir – sinon qui est le chef ici ?
Celui qui s’est placé au milieu de la terre
celui-là doit souhaiter qu’il ne reste de terre
pas plus que sous ses pieds.
Et le pouvoir, tel une colonne de vent
tourbillonne des murs du Kremlin pétrifié
dans les provinces au sépulcral silence,
aux marges du pays, mortes en montant la garde
et au-delà vers les troupes de Moujahidin
et reflue comme une vague endiguée…

Traduit par Léon Robel et Marie-Noëlle Pane.
Extrait d’« Élégie se transformant en Requiem », 
Voyage en Chine et autres poèmes, Éditions Caractères, 2004.

De Moscou où elle habite, Olga Sedakova voit briller l’espoir place Maïdan. Née en 1949, la poétesse russe a toujours répondu à la volonté du pouvoir par un défi : l’amour. Une miséricorde qui a pour sœur l’audace. Jusqu’en 1989, ses poèmes circulent clandestinement, recopiés par ses admirateurs. Leur ésotérisme déplaît aux cercles officiels : d’une langue épurée que le folklore irrigue, ils ouvrent la porte au mystère. Et la célébration de la nature prend des accents chrétiens : « L’églantier sauvage / va, jardinier austère ignorant la peur, / avec une rose pourpre / la blessure de la compassion cachée sous sa blouse sauvage. » L’inspiration, c’est découvrir en soi ce qui nous dépasse, oublier sa personnalité au profit de la beauté. Philologue et traductrice, Olga Sedakova joue des allusions à d’autres cultures, s’ouvre à la Rome antique dans Stèles et inscriptions, à un Moyen Âge de légende dans Tristan et Yseult. Sans renoncer à témoigner d’une histoire contemporaine cruelle. Ainsi des images saisissantes de la longue « Élégie se transformant en requiem » rédigée en 1985. Alors que des larmes mercenaires éclaboussent les corbillards de Brejnev et d’Andropov, Olga Sedakova pleure la jeunesse qu’un vampire a aspirée. Ses amis ont beau lui rappeler que « les empires peuvent tomber, / et les bourreaux recevoir les honneurs, / le chat finira de laper son lait / et la fourmi de construire son nid », la résignation lui répugne. Dans cette souricière qu’est son pays, elle appelle le Seigneur à l’aide. Qu’il intercède à présent pour le peuple.

Du même auteur, Éloge de la poésie (L’Âge d’homme, 2001), Voyage à Briansk et Voyage à Tartu & retour (Clémence Hiver, 2008).

 

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