Cette carte, construite à partir d’une projection polaire centrée sur le pôle Nord, dévoile pour la première fois dans toute son ampleur la stratégie d’influence de la Russie auprès de ses voisins. Plus qu’une volonté de propagande au sens strict, il s’agit pour le Kremlin de réaliser une double ambition : entretenir et propager la langue russe ; détruire la mauvaise réputation de la Russie en s’efforçant de maîtriser son image extérieure. À travers ses « maisons de la Russie » (l’Ukraine est le pays qui en compte le plus), ses instituts de coopération, ses agences de presse, radios et télévisions, Moscou exerce ce qu’il appelle lui-même son soft power, une expression que l’on pourrait traduire par « armes de puissance culturelle ». Les Chinois parlent eux de « puissance souple ».

En exerçant ce pouvoir, Vladimir Poutine poursuit son dessein de rassembler à l’intérieur d’un même ensemble la nation russe et les populations non russes vivant en dehors de la Fédération, mais ayant le russe comme langue maternelle. Dans sa conception ethnique de la nation, le président, entretenant sciemment la confusion entre les deux notions, considère qu’un russophone est un russe. Les frontières du patriarcat reflètent fidèlement le rêve « grand-russien » de Poutine : retrouver les contours de la « sainte Russie », le russe étant la langue et le ciment de la religion et du peuple. Notre carte établit une distinction entre régions à forte (R) et faible (r) population russophone. Les statistiques officielles ne sont guère fiables, le pouvoir russe ayant tendance à gonfler le nombre de ­russophones dans les États limitrophes afin de mieux justifier ses interventions ou ses entreprises de déstabilisation. De fait, les russophones sont très présents dans l’Est de l’Ukraine,
de la Lettonie, de l’Estonie, dans le Nord du Kazakhstan, dans une partie de la Géorgie et de la Transnistrie. La prudence s’impose dans la représentation cartographiée de ces populations : depuis l’ère Eltsine, Moscou tente d’instrumentaliser les cartes en y projetant sa vision de puissance impériale.

Le soft power russe s’appuie encore sur l’agence d’information multilingue Ria ­Novosti (réorganisée avec l’aide d’une agence de communication américaine), l’Internet russe ru.net, les réseaux « d’amis de la Russie », le sport (JO de Sotchi en 2014, Coupe du monde de football en 2018), les multiples colloques et séminaires organisés sur le modèle américain par des think tanks. La Russie tire parti de son « appartenance » au groupe des fameux BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), qui ont marqué leur soutien à la Russie écartéedu G8 de La Haye, le 24 mars, en refusant qu’elle soit exclue du prochain sommet du G20 de Brisbane en novembre. 

 

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