J’avais 16 ans et un bon pécule d’innocence. Arrivé un soir à Barcelone, j’eus peur de me retrouver sans toit. Je déambulai sur la Rambla, jeune gringo ingénu, happé par les lumières des terrasses de cafés sous les platanes, incapable de sortir trois mots en catalan. Parmi les hôtels borgnes d’une ruelle adjacente, je choisis celui qui me parut le plus propre à une nuit réparatrice. Nuit mémorable. C’était un immeuble de papier. Les murs laissaient transpirer les soupirs. On jurait dans les couloirs. Tous les quarts d’heure une main impatiente secouait violemment la poignée de ma porte. Je laissais glisser les heures, arrimé à mon matelas en forme de radeau. Finalement assoupi, je fus réveillé par des coups dans ma porte. On voulait encore entrer. Je décidai de décamper au petit jour. 

Le couloir était squatté par les demoiselles d’Avignon. L’une d’elles me caressa les cheveux et je lui souris niaisement ; je payai ma chambre au taulier comprenant enfin où j’avais passé la nuit. Le hasard m’avait jeté dans une des centaines de maisons de passe de la ville. La fière Rambla qui part de la place de Catalogne pour filer vers le port n’était pas encore devenue cette avenue à touristes bien léchée d’aujourd’hui. Dans cette fin des années 1960, on s’y promenait, oui, mais on y cherchait surtout sa dose d’alcool, de regards allumés, de frottements tarifés. Le lourd manteau du franquisme n’avait pas encore quitté les épaules espagnoles ; rien n’échappait à ses plis. Pas même le soleil une fois le jour revenu. 

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