Côte à côte, ils contemplèrent en silence Istanbul plongée dans l’obscurité, les rares lumières de la ville et la neige qui tombait.

Quand Galip remarqua que les ténèbres s’éclaircissaient peu à peu, la ville semblait encore demeurer pour longtemps plongée dans la nuit, pareille à la face obscure d’une étoile lointaine. Ensuite, grelottant de froid, il se dit que la lumière qui touchait les murs des mosquées, les fumées des cheminées, les amas de béton ne venait pas de l’extérieur, mais semblait surgir de l’intérieur de la ville. Tout comme la surface d’une planète, encore en train de compléter sa révolution, on aurait dit que les différents fragments de cette ville, tout en pentes, couverte de béton, de pierre, de briques, de bois de charpente, de coupoles et de plexiglas, allaient s’entrouvrir lentement pour laisser passer la lueur rougeâtre d’un sous-sol plein de mystères. Mais cette imprécision ne dura guère. Les lettres géantes de publicité pour banques ou pour cigarettes apparaissaient peu à peu, les unes après les autres, entre les murs, les cheminées et les toits, et ils entendirent la voix de l’imam récitant la prière du matin, qui surgissait des haut-parleurs tout près d’eux.  

Extrait du Livre noir 

© Orhan Pamuk/Can Yayinlari Ltd. Sti, 1990 © Éditions Gallimard, 1995, pour la traduction française de Munevver Andac

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