Le manuel scolaire a-t-il autant de place qu’autrefois dans l’enseignement ?

Avec le développement des ressources numériques, le manuel devient un outil parmi d’autres. Depuis les années 2000, l’enseignement se tourne vers les documents en ligne. Il y a un siècle, les élèves d’une même classe pouvaient avoir différents manuels. C’est en 1950 que le manuel est devenu incontournable, mais sa conception a continué d’évoluer. Il y a cinquante ans, c’était comme un livre, un récit, où l’on pouvait lire la leçon en classe ou chez soi. Aujourd’hui, c’est une base de données. Le récit est court et souligne les éléments les plus didactiques. 

Cette évolution du manuel est liée à celle du métier de professeur d’histoire. La pédagogie de l’histoire s’appuie maintenant sur les documents, alors qu’avant elle s’appuyait sur le récit. Je conçois le manuel scolaire comme un genre hybride. Ce n’est ni un livre ni un roman, mais un support d’exercices, avec des ressources et des récits succincts.

Quels sont les objectifs de l’enseignement ?

Ils n’ont pas varié dans des proportions considérables. Dès la fin du XIXe siècle, l’enseignement de l’histoire a trois finalités. D’abord une finalité civique : fabriquer des petits républicains. Ensuite, une finalité identitaire : former des petits Français. Enfin, une finalité intellectuelle : connaître l’histoire et préparer à un travail de recherche historique. 

L’enseignement de l’histoire valorise toujours une ou deux de ces finalités. Au départ, il favorisait les finalités civique et identitaire. En 1970, l’aspect intellectuel a été privilégié pour apprendre aux élèves à faire de l’histoire. Aujourd’hui, certains politiques reprochent à l’enseignement historique de faire de la repentance. C’est un grand retour de la finalité identitaire. La campagne présidentielle l’a confirmé avec François Fillon ou Marine Le Pen et leur idée du roman national.

Les nouveaux programmes parviennent aujourd’hui à un bon équilibre entre les trois finalités de l’histoire. Les précédents manuels étaient marqués par une revendication mémorielle, une représentation des groupes minoritaires sous-représentés comme les immigrés et les femmes. Il y a eu tout un travail d’intégration dans le récit historique et civique des différents groupes sociaux. Mais globalement, dans les manuels scolaires, les trois finalités ont toujours été présentes. 

Quels seraient les points à améliorer ?

Cela diffère entre le primaire, le collège et le lycée. Pour faire simple, il faut alléger le poids des programmes. Ils sont énormes, infaisables et impossibles à terminer. Ce n’est pas nouveau. Le problème, c’est la continuité pour l’élève. Les programmes s’enchaînent chronologiquement entre les classes, mais les enseignants n’ont pas le temps de les finir. Pourtant, c’est ce qu’on espérait, ce qu’on réclamait avant tout. 

La lourdeur des programmes est à l’origine d’un enseignement mal fait, qui nourrit l’idée de tabous et de lacunes. Or peu de questions sont passées sous silence, y compris parmi celles qui fâchent – les pages peu glorieuses de l’histoire de France. Maintenant, quand il faut sacrifier des leçons faute de temps, ce sont souvent ces questions sensibles qui se trouvent écartées. 

Les programmes n’ont-ils pas tendance à déborder le strict cadre du récit national ?

J’apprécie l’ouverture des programmes à une échelle extra-hexagonale, même si elle pourrait être plus importante. Il serait malhonnête de dire que cette histoire enseignée reste l’histoire de France. Un autre progrès majeur réside dans la présence des femmes, des esclaves et des colonies dans les programmes. Nous ne sommes plus dans une histoire héroïsée s’arrêtant seulement sur les grandes figures historiques. Les nouveaux programmes, dans leur globalité, essayent d’intégrer la recherche scientifique la plus récente comme, par exemple, l’étude des mutineries dans le chapitre consacré à la Première Guerre mondiale. Tout cela est de bon augure.

Il y a certes des pesanteurs persistantes, notamment dans les libellés. En primaire, il y a un chapitre intitulé « Le temps des rois ». On ne peut plus aujourd’hui parler de « temps des rois », c’est une formule qui masque tout ce qu’il y a derrière, la société de l’époque. Les programmes scolaires sont toujours des compromis entre une tradition historique liée au roman national et une approche plus en phase avec la recherche scientifique. Les manuels sont conçus pour ne fâcher personne, mais ils fâchent un peu tout le monde !

Quelles sont donc les bonnes recettes pour les enseignants ?

Il n’y a pas de recette. On pourrait continuer la métaphore de la cuisine. On a tous les mêmes ingrédients avec le programme et les documents. Il faut se dire qu’on réinvente un cours avec les mêmes ingrédients, comme un cuisinier qui réinvente un plat. Pour faire un bon cours, même si je n’aime pas ce terme, il faut que l’enseignant se fasse confiance, qu’il combine les ingrédients comme il le souhaite et qu’il accepte qu’il n’y ait pas de recette. Sinon, on ne prend pas en compte les enfants. Le professeur doit faire son cours en fonction des élèves, comme le cuisinier s’adapte à ses convives. 

Bien sûr, je pourrais vous dire : « Oui, il faut utiliser le manuel, il faut faire ci, il faut faire ça », mais ce n’est pas mon rôle. C’est celui des inspecteurs. Je suis une chercheuse, une enseignante, et ce qui m’intéresse, c’est quand un cours est construit avec les enfants. Quand on sent qu’il y a du plaisir chez le professeur et chez les élèves et qu’il y a de la réinvention en permanence. Pour tout vous dire, on peut même faire un excellent cours sans aucun outil. Il faut déculpabiliser les enseignants avec cela. 

Maintenant, des ressources, il y en a partout. Nous ne sommes pas dans un monde qui en manque mais dans un monde en asphyxie à cause d’un trop-plein. Il est donc très facile d’en trouver. 

Propos recueillis par JULIEN RIZZO

 

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