L’histoire des monarques ?
                                                               Celle des exploités ?
L’histoire des guerres ?
                                                      Celle de la lutte des classes ?
Des possédants ?
                                        Des sans-rien ?
Des sans-nom ?
                                     Des héros ?
Du nez de Cléopâtre ?
                                                   De la pensée de Pascal ?
La béate ?
                       La maudite ?
                                                     L’invisible ?
La visible ?
                          Celle des dieux ?
                                                                Des régimes ?
Des amours ?
                                Des croyances ?
                                                                     Des névroses ?
Celle de Tous de Tous de Tous
De tous ceux qui ont vécu
                                                             Ab urbe condita
Jusqu’au Déluge de Feu

                                                       La conscience en nous
Du temps amené à sa conscience
Par nous
                      Chaque instant
Agrandi trois milliards de fois
Même l’instant présent
                                                        Sans histoire

 

Pour enseigner l’histoire, on peut la rêver. Et retrouver le fil du Progrès au long des siècles, « mornes sphinx sur l’énigme accroupis ». C’est là la vision totalisante de Victor Hugo, qui dédie à la France sa Légende des siècles. Mais aussi celle d’Augustine Fouillée pour Le Tour de la France par deux enfants. Utilisé durant des décennies, ce manuel scolaire groupe « toutes les connaissances morales et civiques autour de l’idée de la France ». De quoi statufier Bayard, Du Guesclin et autres dans la mémoire des écoliers. Et préparer la Première Guerre mondiale, à force de nationalisme. Car le doute est absent de cet ouvrage. Quand il aurait suffi que le nez de Cléopâtre fût plus court pour changer le monde, comme nous le rappelle ci-dessus György Somlyó. En une suite de rapides questions, le poète hongrois y questionne le miroir que tend notre conscience au temps, du début du calendrier (ou la fondation de la ville : ab urbe condita) à l’apocalypse. Une énumération emblématique de l’œuvre de Somlyó qui fonde son art sur l’incertitude et la variation. Lui, qui fut traducteur de Rimbaud, de Paul Valéry ou d’Éluard, sait que l’esprit humain trouve sa gloire dans la diversité de ses formes. Et que tous nous aspirons à devenir autres. Ne serait-ce pas là, d’ailleurs, le véritable sens de l’instruction historique et civique ? Moins la révélation d’une patrie éternelle qu’une invitation à laver ensemble nos visages dans un passé mouvant pour mieux nous connaître : tous incomplets, mais unis. 

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