Emmanuel Macron aura peut-être songé dimanche soir à Alexandre Bracke-Desrousseaux, l’inventeur du sigle SFIO et l’auteur de cette formule attribuée par erreur à Léon Blum après la victoire législative du Front populaire le 3 mai 1936 : « Enfin, les difficultés commencent ! » 

Et quelles difficultés ! Car les signes ici ou là de reprises ne font pas un printemps. La France qu’il reçoit en héritage de François Hollande et de tous ses prédécesseurs depuis 1981 est fragile. Plus rien ne la transcende et ne la rassemble. À bien des égards, elle est proche de celle de 1945 ou de 1958 : elle redoute pour sa sécurité intérieure et extérieure avec le terrorisme islamiste qui vient frapper sur son territoire et alimente la peur de l’autre ; elle souffre de la très inégale répartition d’une prospérité au ralenti ; elle se divise sur son destin au sein du seul projet qui longtemps l’a rassemblée, la construction européenne. Autant dire que la tâche est considérable, et son redressement n’est pas loin de s’apparenter aux travaux d’Hercule.

Pour les mener à bien, Emmanuel Macron a une première obligation : ne pas céder à l’euphorie de la victoire et tirer sur-le-champ les enseignements politiques de cette élection qui a vu sombrer les partis dits de gouvernement. Travail impératif pour ne pas se tromper dans la nomination du Premier ministre et se donner une chance d’obtenir une majorité parlementaire à l’issue des élections législatives des 11 et 18 juin prochains. Certes, depuis dimanche, Emmanuel Macron est le président de tous les Français mais il n’a été vraiment choisi au premier tour que par 18 % des inscrits, c’est-à-dire moins d’un cinquième des personnes en âge de voter. Sa base électorale est donc étroite et menace de s’affaiblir encore si les électeurs de droite rentrent au bercail pour désigner leurs députés. Il ne doit pas oublier non plus que près d’un quart des soutiens de Jean-Luc Mélenchon souhaitaient la victoire de Marine Le Pen (7 % d’entre eux ont finalement fait ce choix). Surtout, il a face à lui un pays dans lequel environ 35 % des électeurs qui se sont exprimés ont choisi de soutenir l’extrême droite. La défaite de la candidate frontiste ne doit pas occulter cette terrible réalité, cette percée extrémiste de droite et de gauche qui a rassemblé plus de 45 % des électeurs du premier tour. 

Ce paysage inédit, sidérant car nul autre pays européen à l’exception de l’Autriche n’est travaillé par de tels démons, rend absolument nécessaire de créer une confiance forte entre l’exécutif et le pays. Elle n’est pas sortie de ces urnes tourneboulées et ne sera pas spontanément offerte par les Français au nouveau président. C’est un changement radical par rapport aux précédentes élections présidentielles : la confiance ne se délègue plus à travers le scrutin, elle se construit à l’épreuve du pouvoir. Nicolas Sarkozy l’avait conquise dans les urnes en 2007 et l’avait vue s’évanouir en moins de six mois. Avec François Hollande, elle n’aura pas duré plus de deux mois. Emmanuel Macron ne doit pas compter sur elle. Il lui faut élaborer sur-le-champ un plan pour la forger au fil de son quinquennat. L’histoire lui offre un exemple pour trouver ce chemin : Pierre Mendès France. Son gouvernement fut certes éphémère mais sa méthode fut exemplaire : donner la ligne générale, se fixer des objectifs, les expliquer, rendre compte des réussites comme des échecs. Bref, une démarche de vérité.

Cela passe par un premier discours dans lequel Emmanuel Macron décrirait avec précision la France de 2022. Certes, le mot de « réconciliation » est nécessaire après ce chamboule-tout électoral, il doit cependant s’incarner dans des buts précis, en tout premier lieu sur le reflux du chômage, ce mal endémique français, cause fondamentale des fractures hexagonales. Il ne s’agit pas de promettre la lune ou d’annoncer, comme François Hollande, une inversion de courbe toujours repoussée, mais de fixer un plan de lutte sans revenir à de vieilles recettes qui ont toutes failli. Emmanuel Macron échouera s’il met ses pas dans les empreintes de ses prédécesseurs. Un agenda précis est nécessaire, notamment pour les six premiers mois, afin de rendre compte des mesures engagées, des résultats obtenus, en soulignant les réussites et en reconnaissant les échecs. Le quinquennat exige une urgence de l’action et de la réaction lorsque les réformes s’égarent. Bref, c’est une nouvelle manière de gouverner qui s’impose, ou plutôt une ancienne, mendésiste, reposant sur la transparence, balayant les préjugés, animée par la volonté de convaincre par un discours sans faux-semblants, notamment lorsqu’on en appelle à des efforts. Avoir donc sans cesse en tête cette phrase de Chateaubriand lancée par François Mauriac à la figure de ceux qui firent tomber Mendès : « L’ambition dont on n’a pas les talents est un crime. »

Emmanuel Macron a eu le talent de l’emporter, il lui faut maintenant démontrer son talent à présider. Notamment pour garantir la sécurité des Français. C’est son deuxième grand défi. Il impose une réelle modestie car nul ne peut garantir qu’il n’y aura plus d’attentats dans notre pays. Pas de fanfaronnades à la François Hollande se flattant d’avoir fait abattre des ennemis par nos services spéciaux, ou de roulements de mécaniques à la Nicolas Sarkozy. Assumer d’abord devant les Français qu’il n’y a pas de risque zéro. Même Israël dont la politique antiterroriste est d’une grande efficacité n’a pu se mettre complètement à l’abri. En revanche, faire preuve d’une détermination sans faille contre l’islamisme radical à l’intérieur de notre pays : pas de compromis ou de compromissions avec des organisations ambiguës, fermeture de toutes les mosquées où l’on prêche la haine, traque sans relâche des radicaux, travail de fond enfin pour faire émerger non pas un islam modéré, qui n’existe en fait nulle part, mais un islam réformé acceptant les règles de la laïcité, mettant en œuvre ce grand texte de concorde intérieure qu’est la loi de 1905 et dont il n’y a rien à changer : n’a-t-il pas déjà imposé avec succès les règles de notre République aussi bien aux catholiques qu’aux juifs ! Bref, un droit à la différence dans les lieux de culte, mais pas, dans l’espace public, au-delà des impératifs du vivre ensemble républicain.

Cette entreprise passe évidemment par le retour de l’école à ses missions premières. Emmanuel Macron a eu le mérite dans sa campagne de replacer l’école primaire au cœur de notre défi éducatif. Il peut en ce domaine aller vite. L’apprentissage des savoirs fondamentaux – lire, écrire, compter – est une priorité nationale, tout comme la mise entre parenthèses d’un pédagogisme de précieuses ridicules, source de trop de dégâts. Se donner les moyens d’y parvenir dans les plus brefs délais est possible en bousculant un ministère de l’Éducation dans lequel les ministres défilent et les dictateurs à éduquer demeurent. Rude tâche d’autorité.

S’il veut vraiment rénover la vie publique française, au-delà de la batterie des réformes économiques et sociales qu’il a annoncées pour assainir les finances publiques sans remettre en cause le principe de solidarité, de mesures impératives sur l’environnement et d’un grand effort pour promouvoir la culture (si nécessaire et si négligée par son prédécesseur), Emmanuel Macron va surtout devoir bousculer bien des corporatismes et les terrasser. Tous sont autant de freins à la nécessaire modernisation du pays pour qu’il se remette en marche. Face à une société bloquée, qui ne parvient plus à corriger ses erreurs, dans laquelle le pouvoir est éparpillé entre les mains d’une armée d’individus défenseurs de leurs seuls droits acquis, Emmanuel Macron, pour réussir, n’a d’autre choix que de revenir au but premier de la politique : l’action efficace. Sans tarder. En assumant devant les Français la pleine responsabilité de ses décisions. À marche forcée.  

Vous avez aimé ? Partagez-le !