Arrêtons-nous sur ce prodige, avant que l’enchaînement des jours et l’ampleur des tâches à accomplir n’aient érodé puis effacé son caractère inouï : un an, tout juste un an, après avoir lancé son mouvement, Emmanuel Macron est président de la République. Chapeau bas ! Appliquons-nous ensuite à nous remémorer les autres implosions de ce chamboule-tout électoral. Les grands premiers rôles renvoyés à Pont-aux-Dames, dans une sorte de remake de La Fin du jour. Le Front national au second tour et, au premier, les insoumis à un cheveu de la droite de gouvernement. La télévision plus présente, plus pesante que jamais, y compris lorsque ses journalistes y officient à l’état gazeux. 

Ne nous hâtons pas d’oublier l’entre-deux-tours. Il a révélé une fracture mentale, une fracture morale. D’abord avec le recours intensif à des méthodes fascistes. Ce mot n’est pas une facilité de langage polémique. Il s’applique à la manière dont s’est comportée Mme Le Pen durant sa confrontation avec Emmanuel Macron, aboyant invectives et insinuations, fuyant controverses et explications. Il rend compte des bobards, calomnies, injures et ragots dispersés aux quatre vents par les sicaires du Front national, y compris par ceux qui s’emploient depuis des années à prendre la pose de démocrates et de républicains. L’impudence avec laquelle ces patriotes autoproclamés se sont appuyés sur les services russes pour répandre leurs saletés, leur façon de traiter la presse, leur addiction trumpesque aux faux et à l’usage de faux, tout cela a fait tomber le masque qu’ils arboraient depuis la mise à l’écart de leur fondateur. Astaroth, Lucifer, Lilith, Moloch et tous les adhérents du pandémonium de l’extrême droite peuvent continuer à repasser leurs costumes de jeunes gens sages et à puiser dans les ressources de leur rhétorique lénifiante, nous savons que le diable s’est rhabillé en Marine. Nous le savons et nous nous en souviendrons.

Ce resurgissement du pire ne peut cacher les dégâts causés par l’attitude de Jean-Luc Mélenchon. Elle est la négation de la politique, et d’abord parce qu’elle est la politique du pire. Celui en qui se reconnaissaient bien des ouvriers assommés par la délocalisation de leur entreprise, bien des instituteurs épuisés par les consignes verbeuses d’une administration hors sol, bien des paysans stupéfaits de découvrir le montant de leur retraite, bien des policiers étonnés du report incessant de réformes que presque toutes leurs organisations réclament depuis des lustres, bien des partisans de l’Europe écœurés que M. Barroso ou Mme Kroes puissent pantoufler dans des groupes privés qu’ils étaient censés réguler avant que leurs sièges à Bruxelles n’aient refroidi, bien des citoyens furieux que ceux qui ont commis assez d’erreurs pour mettre en danger de grandes entreprises s’en retirent couverts de bonus et de retraites chapeaux, bien des gens, enfin, dégoûtés de l’action publique lorsqu’ils apprennent de rapports officiels le mésusage des fonds publics et des subventions, celui-là s’est enfermé dans sa vanité blessée ressassant qu’il ne lui avait manqué « que 600 000 voix » comme si on les lui avait volées. 

Et ce ne sont pas les invectives haineuses de François Ruffin, que l’on avait cru Robin des Bois mâtiné de Guignol rieur, qui aideront à la constitution de ce mouvement si nécessaire à transformer en déroute la défaite du Front national.  

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