Le lendemain de l’élection de Donald Trump, le New York Times procédait, dans son éditorial, à un inhabituel mea culpa : lui et les médias en général avaient « raté ce qui se passe autour d’eux » en restant aveugles à la « colère bouillante » de l’électorat qui avait porté l’ovni Trump au pouvoir. Ces médias avaient accusé le candidat Trump d’être déconnecté de la réalité, « en fait c’était le contraire », écrivait le quotidien. Et il concluait que, dans le rapport des médias à la réalité, « quelque chose s’était certainement rompu. Cela peut être réparé, mais il faut le faire une bonne fois pour toutes ». 

Ce journal, diffusé à 2,9 millions d’exemplaires tous canaux confondus, exprimait un sentiment commun à énormément de médias américains, écrits comme audiovisuels. En se focalisant quotidiennement sur chaque nouvelle saillie, chaque provocation, chaque bon mot de Trump, en l’attaquant, souvent en le ridiculisant, ils lui ont offert une exposition exceptionnelle qui lui a permis de dicter l’ordre du jour de la campagne. Et ils ont ignoré les préoccupations de ceux auxquels Trump s’adressait, pour qui ses provocations étaient pain bénit. Ce faisant, les médias n’ont-ils pas eux-mêmes contribué à son succès final ? Tel était le sens de cet éditorial. 

Or, une fois sa confession énoncée, qu’a fait le New York Times ? Il s’est attelé à démolir quotidiennement la politique menée par le président élu, comme ont continué de le faire la plupart des médias américains, s’attirant en retour ses foudres, jusqu’à sa déclaration de guerre officielle, le 17 février. Ce jour-là, Trump tweetait que le New York Times comme les grandes chaînes nationales de télévision (Fox exceptée) étaient « les ennemis du peuple américain ». Rien moins. Peu après, il évoquait publiquement une grande presse devenue « d’un niveau de malhonnêteté hors de contrôle ». Le 24 février, il interdisait à ces médias l’accès aux points de presse de la Maison Blanche.

La « guerre » qui a opposé Trump aux médias durant la campagne électorale n’a donc fait que s’envenimer depuis l’élection. La dernière attaque en date est venue du côté le moins attendu. Le 21 mars, le Wall Street Journal, dont les pages éditoriales expriment très amplement les vues du camp conservateur, s’en prenait sur un ton plus qu’inhabituel à M. Trump. Sous le titre « La crédibilité d’un président », il dénonçait le « flux sans fin d’exagérations, d’accusations sans preuves, de dénis invraisemblables et autres mensonges » d’un homme qui, après avoir prétendu sans fondement que l’ancien président Obama l’avait fait espionner, « s’en tient à ses assertions comme un ivrogne s’accroche au goulot de sa bouteille vide ». 

Mais plus la « guerre » enfle, plus la « base » de l’électorat de Trump semble adhérer à la conviction du président. Celle-ci se résume en une idée : les médias mentent, et les grands médias mentent plus grandement encore. Ou mieux : ils cachent la vérité. De sorte que plus les médias attaquent Trump, plus ses partisans tendent à le soutenir. C’est ce qui est advenu durant la campagne. Et le nouveau président fait tout pour que cela continue. Pourquoi ? D’abord, parce que ses partisans veulent croire qu’il a raison : qu’Obama l’a vraiment fait espionner, de même qu’il est vraiment un musulman masqué né hors des États-Unis. Et croire aussi que les médias font tout pour escamoter ces « faits alternatifs », selon le terme à la mode dans les milieux de l’extrême droite américaine. Ses adeptes voient en Trump leur « sauveur », l’homme qui va leur rendre le pouvoir et l’estime d’eux-mêmes qu’ils disent avoir perdus. Et ils veulent croire qu’il a raison parce que sinon, c’en serait à désespérer de tout. Cette base-là hait autant le Wall Street Journal, incarnation de la finance, que le New York Times, incarnation du progressisme. Et elle est très sensible à toutes les « théories du complot ».

En s’attaquant aux médias, Trump fait donc mine de s’en prendre aux « puissants ». Et il place ses adversaires dans une position supposément impossible. Si le New York Times le critique, c’est la preuve qu’il est bien l’Homme seul face au Grand Mensonge. Mais si le même journal, d’aventure, lui concède un point, il s’écrie instantanément : « Voyez, même eux sont obligés de reconnaître que j’ai raison. » C’est pile je gagne, face tu perds. En multipliant les saillies parfois délirantes, souvent diffamatoires, il cajole sa base tout en poussant ses opposants à l’affronter plus radicalement – en espérant continuer à bénéficier ainsi du gouffre qui se creuse entre deux Amériques.

Stratégie gagnante ? L’éditorialiste de l’agence Reuters sur les questions internationales, Peter Apps, y croit peu. Le 21 janvier, dans un article critique, il admettait que les grands médias américains avaient commis de nombreuses erreurs dans leur traitement du cas Trump. « La guerre que Trump a précocement déclarée aux médias sera dommageable aux deux parties », écrivait-il. Il concluait que, si sa posture anti-médias avait amplement bénéficié à Trump pour se faire élire, une fois devenu président, cette même stratégie devrait « jouer terriblement » contre lui. Car la campagne est finie ; désormais, il est dans l’obligation de faire ses preuves.  

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