Les réseaux sociaux ont-ils modifié la donne médiatique pour les candidats à l’élection présidentielle ? Telle est la question qui se pose quand on observe les comptes de certains d’entre eux. Sur YouTube par exemple, Jean-Luc Mélenchon compte 247 282 abonnés. En tête des onze prétendants, il devance largement le candidat du Frexit, François Asselineau (un peu plus de 37 000 abonnés) et Marine Le Pen (en troisième position, avec 17 255 abonnés). Celle-ci arrive en tête sur Facebook avec 1,27 million d’abonnés, contre 774 960 pour Jean-Luc Mélenchon, et sur Twitter avec 1,35 million d’abonnés contre 1,03 million pour Jean-Luc Mélenchon. Les candidats y relaient le même type de contenus : des analyses de l’actualité, des annonces de meetings ou de conférences de presse, des extraits d’apparitions dans les médias, des échanges en direct avec les militants.

Si cette forte présence des extrêmes sur les réseaux sociaux n’est pas étonnante au regard de leur traditionnel discours critique sur les médias (on cherche à dépasser le filtre journalistique pour parler directement aux sympathisants), elle marque toutefois une évolution singulière de la communication politique. « À la fin des années 1990, le Front national est le premier parti à créer son site web », note Stéphanie Wojcik, chercheuse et enseignante à l’université Paris-Est Créteil. Elle précise que « les stratégies en ligne visent moins à convaincre qu’à mobiliser les militants ». Pour Anaïs Theviot, chercheuse en science politique au CRAPE, à Rennes, développer son propre média, comme le fait avec succès Jean-Luc Mélenchon, relève de la stratégie d’influence : « Il oriente et choisit les sujets qu’il veut mettre en avant, cela influence la discussion avec les journalistes qui les reprennent si cela fait du bruit sur la toile... » Claire Sécail, chercheuse du CNRS au laboratoire Communication et Politique, le note également : « En 2012, lors d’un meeting à Besançon, Jean-Luc Mélenchon affirmait déjà que son mouvement était son propre média. Cela fait partie de la dynamique pour faire passer le message et cultiver, aussi, hors ligne, le bouche-à-oreille. »

Cela étant, l’usage des réseaux sociaux n’atteint, semble-t-il, que les militants ou les férus de politique : ce sont des outils de « conscientisation du soi », selon Claire Sécail. « Cette multiplication des canaux d’expression ne signe pas la fin des médias de masse, la télévision restant le principal média d’information du public pour ces élections », approuve Stéphanie Wojcik. En ce sens, la diffusion « en live » sur Facebook ou YouTube de leurs meetings – conçus bien souvent comme un spectacle audiovisuel – permet aux candidats d’en diminuer le coût d’entrée : « Il y a un côté consumériste dans le fait d’assister aux meetings en ligne, et cela témoigne aussi d’une appétence renouvelée pour la politique », observe le journaliste Xavier de La Porte, spécialiste des questions numériques. D’ailleurs, les chaînes de télévision en continu ne s’y trompent pas lorsqu’elles diffusent les meetings de fin de semaine : « C’est utile pour donner la parole à des candidats qui ont un capital médiatique fort, et cela fait de bonnes audiences », remarque Claire Sécail, dont les recherches confirment l’existence d’un véritable engouement pour les émissions de décryptage politique.

Mais là où Stéphanie Wojcik évoque une persistance de la fascination pour les campagnes de Barack Obama – qui allièrent avec beaucoup d’habileté l’usage massif des réseaux sociaux au travail de terrain du type porte-à-porte –, d’autres estiment que la parole en ligne est confisquée par les plus politisés : « Les réseaux sociaux sont comme un souk organisé où les militants de chaque parti se croisent rarement... », regrette Anaïs Theviot. Le 21 mars, dans une chronique diffusée sur France Culture au lendemain du débat organisé sur TF1, Xavier de La Porte déplorait même le fait de n’avoir assisté, en ligne, qu’à un échange très organisé et préparé d’arguments : là où il y avait auparavant « quelque chose de gai, de vivant, d’impertinent » qui donnait une « petite idée d’une démocratie en acte », le débat sur Twitter fut saturé « par des partisans très organisés qui relayaient les déclarations des candidats avec des images et des slogans fabriqués et préparés par les équipes de campagne, par les comptes des candidats eux-mêmes, par les comptes de médias qui tweetaient frénétiquement ». La portion de « tweets d’internautes lambda, de bêtises ou de remarques intéressantes » était alors réduite à presque rien...

Que retenir alors de ces prises de parole ? Plusieurs choses. Ainsi que le souligne le sociologue Jean-Marie Charon, « il serait peut-être temps que le CSA revoit sa manière de mettre sous cloche les radios et télévisions : à quoi bon millimétrer les temps de parole consacrés aux uns et aux autres, alors que les audiences ne sont plus forcément là ». De même, que penser de l’opinion politique exprimée par le compte d’un journaliste, au-delà de son média d’appartenance ? Mais bien plus encore : qu’est-ce que « liker » ou « retweeter » veulent réellement dire ? « Nous ne sommes qu’au début de la compréhension des actes numériques et il est encore très difficile, voire impossible, d’estimer l’impact politique d’une occupation des réseaux sociaux », juge Xavier de La Porte avant de s’interroger : « Change-t-on d’opinion parce qu’il y a plus de tracts ou d’affiches dans la rue ? » 

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