La presse britannique a joué un rôle clé dans la victoire des Brexiteers lors du référendum du 23 juin 2016. En effet, lors de la campagne, la plupart des titres ont milité ouvertement en faveur du retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne. Selon une étude de l’université de Loughborough, 82 % des articles parus avaient été hostiles à l’UE. 

Ainsi, le jour du vote, le tabloïd Sun (1,8 million d’exemplaires vendus en moyenne par numéro) avait proclamé en manchette à propos du choix offert à l’électorat, « Independence Day » (« Le jour de l’indépendance »). Le Daily Telegraph, le Daily Express, le Daily Star et le Daily Mail avaient également milité de manière véhémente pour le Brexit en attribuant tous les maux du royaume à l’Europe. Les suffrages pro-retrait concentrés chez les générations les plus âgées, les ouvriers et les petits employés des régions défavorisées du Nord de l’Angleterre, des Midlands et du pays de Galles avaient reflété la pénétration des quotidiens favorables à un Brexit. 

En revanche, la presse dite de qualité (Financial Times, The Guardian, The Times et The Independent) n’avait eu de cesse de mettre en garde contre les risques d’apocalypse économique liés au Brexit. Mais ses éditorialistes n’avaient pas jugé bon de réfuter les énormes mensonges du camp adverse, à commencer par les économies réalisées en cas de départ. Lus dans les milieux intellectuels et d’affaires, le Guardian (180 000 exemplaires) ou le Financial Times (210 000 exemplaires au Royaume-Uni) ne faisaient visiblement pas le poids par rapport au rouleau compresseur du Daily Mail, le plus influent et le plus lu des tabloïds, et surtout de son site Internet, Mail Online, le plus visité au monde.

Après le scrutin, les journaux anti-européens ont milité avec succès en faveur du hard Brexit annoncé par la Première ministre, Theresa May, dans son discours de Lancaster House, le 17 janvier 2017. Cette rupture totale avec l’UE prévoit la sortie du marché unique et de l’union douanière, la signature d’accords commerciaux de libre-échange et le contrôle de l’immigration européenne au Royaume-Uni. 

Rien n’illustre mieux ce lien solide entre l’hôtesse du 10 Downing Street et la presse de droite que le choix de James Slack comme porte-parole. Il s’agit de l’ancien chef du service politique du Daily Mail. Le directeur de la communication du ministère du Brexit, James Chapman, a également été débauché au Mail. Par ailleurs, le seul tabloïd de gauche, le Daily Mirror, a été contraint de mettre en sourdine ses convictions pro-européennes par peur de se couper de son lectorat populaire qui a massivement voté en faveur du Brexit. 

Comme le constate Roy Greenslade, expert des médias de la City University de Londres, « sur la question européenne, la ligne éditoriale des titres britanniques est fortement influencée par les convictions du propriétaire ». Ainsi, le Daily Telegraph appartient aux frères Barclay, deux expatriés fiscaux férocement anti-Bruxelles qui vivent entre Monaco et la petite île anglo-normande de Brecqhou. Violemment antiallemand, Richard Desmond possède le Daily Express et le Daily Star. Le Mail est contrôlé par la famille Rothermere qui avait flirté avec le nazisme avant la Seconde Guerre mondiale et n’a jamais renié cet épisode. 

La seule exception est paradoxalement le magnat américain Rupert Murdoch dont l’europhobie est pourtant légendaire. Pour des raisons commerciales, il a décidé de jouer sur les deux tableaux. Alors que le Sun, pro-départ, soutient la feuille de route de Theresa May, le Times, qui s’était rangé dans le camp du maintien, s’est prononcé pour un Brexit « léger ». 

Cet engagement en faveur du Brexit a été d’autant plus important que, malgré ses difficultés, la presse écrite londonienne, en particulier conservatrice, continue d’exercer une influence totalement disproportionnée par rapport à son poids économique. Roy Greenslade, expert des médias de la City University, explique ainsi que ce sont les journaux qui déterminent l’ordre du jour des stations de radio comme des chaînes de télévision tenues à une certaine neutralité.  

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