Cependant que s’obscurcissent et se mélangent à qui mieux mieux l’erreur le vrai le songe et la raison dans le grenier des accessoires hors d’usage et de sens démentiel désordre le hasard implacable prend place et s’impose partout amplement fourni (selon le déroulement d’une suite sans logique et sans frein) de mouvements opposés variables et insensibles qui ne se peuvent traduire qu’en termes de douleur car il est devenu évident que l’aigle et sa proie font de leur couple horrible et de leur inséparable agonie la seule clé pour nos mains tâtonnantes d’aveugles et la seule mesure possible de ce qui comble à tout casser ce lieu sans lieu ce dôme autrefois transparent mais qui pour jamais s’est voilé de conjectures furibondes ce ciel sonore et infaillible ce recours cet abri peuplé de protecteurs de démons et d’oracles figures familières jouant leur rôle et portant leur nom même insulté veilleurs toujours reconnaissables et toujours prêts à nous défendre aux frontières sauvages où piaffe où hurle où hennit l’imprévisible l’inconnu.

Dans l’Athènes antique, on tirait au sort l’essentiel des responsables politiques. Une manière de s’en remettre aux dieux... comme, aujourd’hui, on écoute les médias. Car l’élection présidentielle se jouera à un rien ou presque, tant sont nombreux les indécis. Alors que l’heure du choix approche, faut-il s’en remettre au hasard d’un pile ou face ? Ou au coup de dés d’une pensée ? « Hennissement de l’inconnu » appartient à une suite de quatre poèmes titrée Le Voyage sans retour. L’ensemble forme une réflexion sur la mort, publiée en 1983, douze ans avant la disparition de son auteur. Mais aussi une étude salutaire sur la confrontation à l’inconnu. Car il fait bon lire Jean Tardieu dans ces temps troublés par les fausses vérités. Le poète et dramaturge a installé son œuvre dans le sillon du doute, pour mieux explorer les jeux du langage et de la réalité. Un cheminement burlesque et sérieux, humble et ambitieux à la fois, où même la singularité de l’angoisse emprunte la forme du nous. Voyez comment l’absence de ponctuation multiplie les surprises. Les nombreux connecteurs logiques fonctionnent en partie à vide, comme nos cerveaux débordés. Tel l’aigle à sa proie, les adjectifs violents s’agrègent aux substantifs avant la succession lyrique « où piaffe où hurle où hennit ». Sommes-nous face à l’isoloir comme le moribond qui ne sait plus à quel saint se vouer ? Et qui n’a pour se rassurer devant les paroles contradictoires que cette certitude : « Quiconque saurait le secret usage des mots de tous les jours aurait un pouvoir illimité, et il ferait peur. » 

 

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