« Ici, avant un fainéant, aujourd’hui un travailleur ! » C’est ce que l’on pouvait lire il y a peu sur les devantures des ateliers d’artistes de la ville de Fréjus. Ce sont des militants FN qui ont posé ces affichettes. La nouvelle mairie FN demandait aux artistes qui souhaitaient continuer à bénéficier des locaux municipaux d’être présents six jours sur sept et de travailler bénévolement pour les enfants. Une manière de les pousser à la porte qui démontre les méthodes du parti tout en prenant soin d’alimenter sa dédiabolisation par un discours culturel policé. Le Manifeste pour Fréjus de l’élue d’opposition Françoise Cauwel décrit en détail cette situation particulière.

C’est maintenant. C’est en France. Oserai-je dire : c’est « chez nous ». Et cela ne dérange plus personne, formidable démonstration de la victoire sémantique de l’extrême droite. Au fond, tout le monde est d’accord : l’artiste est un fainéant.

Que pourrait-il répondre à ces accusations, l’artiste ? Qu’a-t-il à défendre de plus que sa propre liberté et son droit à la paresse ?

Je suis un artiste actif et natif d’une Provence culturellement riche et créative. Un pays où une part énorme de la population se sent pourtant abandonnée au point de faire confiance au mirage populiste et xénophobe. Ici, quand je m’offusque de cette campagne FN de dénonciation des artistes azuréens, on me répond que « ce n’est pas si grave », et qu’après tout : « Toi, c’est pas pareil, tu travailles vraiment, et chez nous ! » Et puis : « Tu as de la chance, tu fais ce qu’il te plaît, c’est pas un métier, c’est une passion. »

La place de l’artiste est de ne pas avoir de place. Auprès de cette population, je suis devenu « l’ami artiste »… Quelle étrangeté que de ne plus être étrange dans mon pays.

Mon travail consiste alors à retrouver cette altérité vitale en portant mon swing là où il est méconnu, là où il n’est pas attendu, voire méprisé.

Woody Guthrie avait gravé sur sa guitare : This machine kills fascists. Laissons-nous porter par cette utopie. Je ne tue a priori personne par mon art, mais j’espère contaminer les certitudes stériles propres à notre époque en associant Bach et Coltrane, en répétant l’importance des métissages ou en transmettant l’improvisation et l’oralité populaire. Dans ces circonstances, redonner un sens au mot « populaire » est un acte de résistance. « Bâtir la paix passe aussi par la culture », vient de déclarer Irina Bokova, directrice générale de l’Unesco. La culture est une solution. Mais elle n’est pas une résistance sui generis. Culture il y aura, pour le meilleur et pour le pire. Il n’y a pas de génération spontanée de la culture résistante et résiliente. Elle s’entretient perpétuellement, sinon elle s’académise et finit par ne plus convaincre que les convaincus. À trop invoquer la culture comme rempart, elle devient alors un slogan plein de vacuité.

L’artiste n’est cependant jamais plus résistant que dans son altérité et son incapacité à justifier sa place sociale.

Intellectuel ignorant, élitiste populaire, solitaire mondialisé, l’artiste n’est pas qu’un poil à gratter ou une attraction de foire, il est la démonstration du paradoxe fertile si nécessaire à nos sociétés.

Alors, paresseux stakhanovistes, artistes méconnus ou reconnus, unissons-nous, ou faisons selon notre bon vouloir. Nous sommes artistes par notre liberté, notre résistance, et surtout par nos actions. Des actions potentiellement sublimes par leur absence de justification. Des actes supposément désintéressés, dénués de cause, de productivité comptable. Des actes qui marquent notre humanité et nos combats. La culture n’est pas la cause de l’artiste, elle en est l’effet. Ostracisé ainsi par le Front national, l’artiste apparaît d’autant plus comme un élément vital, le travailleur éternel, notre fainéant forcené édifiant une culture de combat pour les générations futures. 

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