L'auteur
Diplômé d’HEC, docteur ès lettres et sciences humaines, Pierre Rosanvallon est professeur au Collège de France où il tient la chaire d’histoire moderne et contemporaine du politique. Conseiller de la CFDT dans les années 1970, il n’a cessé depuis L’Âge de l’autogestion, publié en 1976, de réfléchir aux moyens d’empêcher la dépossession des gouvernés de leurs droits légitimes à l’exercice du pouvoir. Cette quête de philosophe de la politique inspire aussi bien son œuvre d’historien – par exemple son histoire de la démocratie française en trois volumes – que ses interventions sociales. Il dirige en particulier le site La Vie des idées

La thèse
Dans la salle de la Paix du palais communal de Sienne, une célèbre série de fresques d’Ambrogio Lorenzetti, exécutée autour de 1338, illustre les effets du « bon » et du « mauvais » gouvernement. Les allégories du « bon » montrent comment les édiles peuvent et doivent assurer à la Cité la paix et la prospérité. Pour ce qui est du « mauvais », les Italiens en ont fait à ce point l’expérience qu’il est devenu un mot du langage courant. Le malgoverno est cette somme de corruption, prévarication, captation du pouvoir à des fins d’intérêt personnel ou de clan (mafieux), qui empoisonne la vie politique de la péninsule, mais qui n’empêche pas l’Italie d’être sur beaucoup de plans une démocratie exemplaire.

Le titre de l’essai de Pierre Rosanvallon, Le Bon Gouvernement, renvoie de façon explicite aux peintures de Sienne. Face à ce qu’il est convenu d’appeler la crise actuelle des démocraties, il s’interroge sur les mécanismes « du mal-gouvernement », en France en particulier, dans le but de retrouver les voies du bon. L’histoire de la France est, selon Pierre Rosanvallon, celle d’une démocratie inachevée. Si les Français ont inventé l’égalité en 1789, ils ont ensuite « davantage établi le catalogue des pathologies et des problèmes de la démocratie moderne que celui des solutions ». 

Dans la suite du travail considérable qu’il a consacré à cette « démocratie à l’œuvre », Pierre Rosanvallon scrute aujourd’hui les effets de la montée en force du pouvoir exécutif dans la politique contemporaine. L’hyperprésidentialisation exige une réévaluation des fondements mêmes de la construction démocratique. Des questions aussi capitales que la mise en place du pouvoir de la loi, mais aussi la légitimité d’institutions représentatives limitée à leur seule élection, et même le paradoxe d’un exécutif hypertrophié dénoncé régulièrement comme impuissant, impliquent que soit repensé le rapport entre représentés et représentants. 

Comment permettre aux citoyens de s’approprier une démocratie dont ils sont de plus en plus tenus à l’écart ? La solution envisagée par Pierre Rosanvallon est celle d’une « démocratie d’exercice », fondée sur « la détermination des principes devant régir, de façon permanente, les rapports entre gouvernés et gouvernants ». Il s’agit d’inventer des procédures de conduite de l’exécutif qui ne se limitent pas à une « démocratie participative », imaginée pour remédier aux problèmes de la mal-représentation. Cette démocratie d’exercice, dont les principales figures sont dessinées dans le livre (lisibilité, responsabilité, réactivité, parler vrai, intégrité), repose d’abord sur les qualités reconnues aux gouvernants, afin de restaurer avec eux un lien de confiance. Elle suppose ensuite une transparence ou un parler vrai défendus il y a peu par un Pierre Mendès France ou un Michel Rocard, mais aussi, dans un lointain passé, par le Démosthène des Philippiques. Enfin, une telle démocratie devrait pouvoir s’appuyer sur des institutions et des pratiques civiques qui renforcent nos formes de délibération.

Solutions
Est-il possible d’éviter que la démocratie comme gouvernement du peuple (lors de l’élection) ne devienne un gouvernement sur le peuple dans les phases de l’action ? Pierre Rosanvallon souligne que « des activités citoyennes fondées sur l’exercice d’une défiance vis-à-vis des pouvoirs » ne sont pas un correctif suffisant à cette dérive. La re-légitimation post-électorale permanente des gouvernants à laquelle il songe passera par un agir démocratique en politique qu’il convient d’inventer. Cela pourrait se traduire par la constitution de « nouvelles organisations démocratiques », du type conseil du fonctionnement démocratique (gardien des principes), commissions publiques d’évaluation de la qualité démocratique des politiques publiques, ou organisations de vigilance citoyenne, dont Pierre Rosanvallon esquisse l’architecture générale en conclusion de son étude, en attendant de leur consacrer un autre livre.  

JEAN-LUC POUTHIER

 

 

Vous avez aimé ? Partagez-le !