L’expression fashion victim désigne une personne qui suit la mode d’une façon « servile et excessive » et se met en scène avec exagération. Perçue par les autres comme une victime qui s’ignore, elle prône son « autonomie créatrice » par rapport à son « look ». Ainsi, la mode semble pour elle un moyen de manifester sa personnalité, tout en lui faisant courir le risque de la nier. La banalité d’un quotidien scénarisé propulse certaines fashion victims sous le feu des projecteurs et les érige en idoles d’une génération. Kim Kardashian, vedette américaine de la télé-réalité classée par Time Magazine comme l’une des cent personnalités les plus influentes dans le monde en 2015, représente une forme de modernité décomplexée qui fascine autant qu’elle agace. Elle est parvenue à devenir une égérie de mode et a même lancé ses propres tendances beauté.

En France, les stratégies médiatiques des fashion victims rendent compte d’une paupérisation des classes moyennes : l’espoir d’échapper au quotidien et de devenir une star fait rêver. L’omniprésence médiatique des fashion victims (télé-réalité, presse people, chaînes YouTube, réseaux sociaux…) marque l’avènement de nouvelles stratégies de communication, mais également d’un nouveau rapport au corps de la femme. Cette hyperféminisation médiatisée, qui s’appuie sur une banalisation de la sexualité, renforce la représentation de la femme comme subalterne, déclassée, perçue seulement comme un corps-machine de travail. 

La possibilité de réussir sans talent particulier donne l’illusion que la célébrité est accessible à tous. « Faire une télé-réalité » ou être suivie par des milliers de followers sur Twitter apparaît comme le nouveau graal pour beaucoup de jeunes femmes. Certaines y parviennent. Des youtubeuses comme EnjoyPhoenix, Shera Kerienski ou encore Emma CakeCup proposent des « tutos beauté » ou des « astuces mode » tout en monnayant des partenariats avec des marques cosmétiques. 

La fashion victim incarne une figure archétypale de la société en perte de repères. Kim Kardashian, mais également Zahia Dehar, escort girl devenue mannequin et créatrice de lingerie féminine, ou Nabilla Benattia, rendue célèbre par la grâce de la réplique « Allô ! Non, mais allô quoi !… », apparaissent comme des réinterprétations de la figure d’Aphrodite. Ces personnes, confondues avec leur personnage, ne peuvent guère être prises au sérieux ; elles vivent dans une perpétuelle ambivalence entre le bien et le mal, la vérité et le mensonge, et, surtout, semblent prisonnières de l’éphémère. Plus dure est la chute : de la célébrité et d’un univers de strass, Nabilla est passée par la case « palais de justice » et s’est vue condamnée et déchue de sa place de chroniqueuse de l’émission de la chaîne D8 Touche pas à mon poste. Mais, en violant les tabous et en transgressant les interdits, elles prouvent par l’exemple que devenir célèbre uniquement grâce au physique et/ou aux relations sexuelles (sex-tape, prostitution, escorting) est possible ; l’idéal méritocratique, si cher à la France, s’en trouve ébranlé. 

Cette figure de la fashion victim permet de rendre plus acceptable les dissonances cognitives et les messages contradictoires avec lesquels les individus doivent composer au quotidien : l’impossibilité de s’élever socialement, les difficultés d’insertion professionnelle, l’envie de fonder un foyer, l’injonction de faire carrière… La frustration est toutefois encore plus grande pour celles qui, suivant cette voie, ne parviennent pas à leurs fins et se heurtent à l’indifférence et aux railleries sur les réseaux sociaux.

Paradoxalement, ces fashion victims permettent de faire rêver une génération qui ne croit plus en elle ni en la société : le corps à travers son hypersexualisation devient ainsi une valeur refuge en temps de crise. 

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