Je vous envoie une carte de la côte

peut-être entendrez-vous
le rugissement des rivières
et le mugissement du vent sur la neige

peut-être verrez-vous les phoques
les ours et les loups

les missionnaires me font rire
il est clair d’après leurs histoires
qu’ils ne comprennent rien à rien

quant à moi
je n’ai pas de nom de baptême
et mon âme est noire et poilue

je vous souffle l’air du Nord

et j’accompagne mes paroles
de huit notes de tambour

ayaya !

 

Un angekok, en inuit, c’est un chaman. Pas un prêtre, non, ni un religieux. Plutôt un « gardien de phare ». Un homme qui parle aux esprits de la terre et des eaux, quand le chasseur doit chasser, le pêcheur pêcher. Mais qui se sépare aussi de sa communauté pour, le dos tourné au village, sur son iceberg personnel, ne regarder que les glaces... Un fou, un idiot, un illuminé... Ses chants sont vieux comme le monde, écrit Kenneth White dans Les Rives du silence. Les entendre, « c’est entendre la mer / battre contre une vieille falaise », poursuit-il en citant l’explorateur Knud Rasmussen. C’est « comprendre / la première intelligence / du temps et de l’univers ». Quand il les entonne, l’angekok les entrecoupe de mélopées – ayaya ya ya – en tapant sur un tambour en peau de caribou, au cadre en bouleau. De tels détails concrets ont leur importance : la transe est une expérience sensible qui unit le physique au psychique et au spirituel. Elle est sans doute, pour Kenneth White, en rapport avec sa pratique de l’écriture, qu’il vit comme un « yoga poétique ». L’auteur écossais a publié en anglais et en français, en prose et en vers. Ses textes lient le voyage à la philosophie, la réalité au rêve. Dans La Route bleue, il décrit l’importance qu’eut le Grand Nord dans son éveil au monde. C’est là, le long de la côte du Saint-Laurent, que prit forme son idée de la géopoétique. Ou comment enrichir et rétablir le rapport Homme-Terre, par-delà les disciplines. Une théorie qui est aussi un art de vivre. 

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