Miriam Fenoulhet a enseigné pendant six ans au collège Diderot d’Aubervilliers. Elle a filmé ses élèves durant une année, dans le cadre d’un documentaire dont la sortie est prévue en septembre 2017.

"L’objectif de (Pas)sages & (Mes)tissages était notamment de réfléchir avec les élèves à la notion de clichés, à la perception qu’ils ont d’eux-mêmes à travers les médias. Les jeunes de banlieue ont conscience d’être l’objet d’une stigmatisation, mais ils font preuve d’une certaine lucidité. Ils savent que, parfois, ces clichés sont justifiés : leur manière de s’habiller, leur façon de parler – « le wesh-wesh » comme ils disent. En classe, ils vont parfois entrer dans ces clichés en s’interpellant d’une manière pas toujours polie, ou en jouant un rôle, comme celui de la grande gueule. Mais ce n’est pas propre à la banlieue : on retrouve cette façon de se comporter dans les classes parisiennes. Les collégiens reproduisent ce qu’ils voient dans les films ou dans les médias. Ce sont des signes d’appartenance à une classe d’âge et à un groupe. L’idée de groupe est très importante. Dans une classe, les élèves qui la composent constituent une sorte de public. L’élève réputé agité tient son rôle, il va agir de la manière dont les autres s’attendent à ce qu’il agisse. Mais la bienveillance de ce groupe va aussi lui permettre de canaliser sa violence, d’exister autrement. À l’école, la violence verbale, on parvient à l’exploiter les trois quarts du temps. L’humour est notre meilleur allié. Il permet de créer une forme de connivence avec le groupe. Quand vous arrivez à faire sourire un petit « caïd », vous déplacez des montagnes. C’est cette force que l’on trouve dans les écoles de banlieue.

Il y a une réelle volonté de la part du corps enseignant de jeter des ponts entre l’intérieur et l’extérieur de l’école. En organisant des voyages scolaires, par exemple. Lors d’un séjour dans un collège à Londres, j’ai vu certains de mes élèves d’ordinaire peu attentifs en cours et farouchement hermétiques à l’anglais, se transformer en véritables French lovers, accrochés aux camarades qui maîtrisaient mieux la langue pour réussir à parler avec les petites Anglaises ! À l’étranger, ils sont un groupe de Français ; en France, ils se perçoivent parfois comme des banlieusards mis au ban de la société. Ils ont le sentiment d’être à l’écart, en dehors de Paris, et ont ce fantasme de passer le périphérique. Un fantasme mêlé au rêve de réussite scolaire : en classe de troisième se pose la question du lycée général, potentiellement à Paris, et celui du lycée professionnel, perçu comme une voie de garage par certains. Plusieurs de mes élèves ont passé ce fameux périphérique pour rejoindre les lycées Henri IV ou Louis le Grand. Trois d’entre eux font maintenant des études de médecine. Eux aussi ont leur perception des Parisiens. L’un d’eux m’écrivait : « On les appelle les fraîcheurs », et me faisait remarquer : « Ils semblent étonnés quand on leur dit qu’on vient du 93, mais quand ils nous connaissent, ils oublient les idées qu’ils se faisaient de la banlieue. Ils voient que nous y parlons aussi la langue de Molière. » La notion de passage prend tout son sens : de la France à l’Angleterre, d’Aubervilliers à Paris. "

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