Sur ces entrefaites, le grand pontife Métellus mourut et ce sacerdoce, fort recherché, fut brigué par Isauricus et Catulus, deux personnages très en vue et très influents au sénat. Mais César, loin de s’effacer devant eux, se présenta devant le peuple et posa sa candidature. Comme leurs campagnes se valaient, Catulus, qui redoutait le plus, parce qu’il jouissait d’une plus grande considération, les incertitudes de la lutte, fit offrir à César par un émissaire des sommes considérables s’il voulait renoncer à son ambition ; mais César répondit qu’il en emprunterait de plus grandes encore pour soutenir le combat jusqu’au bout. Le jour de l’élection, sa mère ne pouvait retenir ses larmes en l’accompagnant à la porte. César lui dit en l’embrassant : « Ma mère, tu verras aujourd’hui ton fils ou grand pontife ou banni. » Les suffrages recueillis, au terme de la lutte, César l’emporta et son succès fit craindre au sénat et à l’aristocratie qu’il ne poussât le peuple à toutes les audaces. 

***

Cependant il n’y eut point de trouble durant sa préture, mais il lui arriva à lui-même une aventure domestique fort désagréable. Publius Clodius était un jeune patricien, distingué par ses richesses et par son éloquence, mais qui ne le cédait, pour l’insolence et l’audace, à aucun des hommes les plus célèbres pour leur effronterie. Il aimait Pompéia, femme de César, et Pompéia, de son côté, ne le voyait pas d’un mauvais œil ; mais son appartement était gardé avec le plus grand soin et Aurélia, mère de César, femme d’une grande vertu, veillait de si près la jeune femme que les rendez-vous des deux amants étaient difficiles et dangereux. Or les Romains ont une divinité qu’ils nomment la Bonne Déesse, comme les Grecs l’appellent Gynaecéia. Les Phrygiens, qui la revendiquent aussi, allèguent qu’elle était mère du roi Midas, tandis que les Romains prétendent que c’est une nymphe dryade qui eut commerce avec le dieu Faunus ; quant aux Grecs, ils en font celle des mères de Dionysos qu’il n’est pas permis de nommer ; de là, selon eux, ces branches de vigne dont les femmes couvrent leurs têtes pendant la fête et ce serpent sacré qui se tient auprès de la déesse conformément au mythe. Tant que durent les mystères, il n’est permis à aucun homme d’entrer ni de se trouver dans la maison où on les célèbre et les femmes, restées entre elles, accomplissent, dit-on, dans leur service religieux bien des rites analogues à ceux de l’orphisme. Lorsque donc le temps de la fête est venu, le consul ou le préteur chez qui elle se célèbre sort de chez lui avec tous les hommes de la maison et c’est sa femme qui en reste maîtresse et la décore. Les principales cérémonies se font la nuit ; et ces veillées sont mêlées de divertissements et accompagnées de beaucoup de musique. 

Cette année-là, c’est Pompéia qui célébrait la fête et Clodius, qui n’avait pas encore de barbe et se flattait de ce fait de passer inaperçu, prit le costume et l’attirail d’une joueuse de lyre et se présenta sous l’apparence d’une jeune femme. Il trouva les portes ouvertes et fut introduit facilement par une des esclaves de Pompéia, qui était dans la confidence et qui le quitta pour aller avertir sa maîtresse. Comme elle tardait à revenir, Clodius n’eut pas la patience d’attendre là où elle l’avait laissé et, alors qu’il errait dans la vaste demeure en évitant avec soin les lumières, une suivante d’Aurélia tomba sur lui et, croyant être entre femmes, l’invita à jouer ; devant son refus, elle le traîna au milieu de la salle et lui demanda qui elle était et d’où elle venait. Clodius lui répondit qu’il attendait Habra (c’était le nom de l’esclave de Pompéia), mais sa voix le trahit. La suivante s’élança aussitôt vers les lumières et la compagnie, criant qu’elle venait de surprendre un homme. L’effroi saisit toutes les femmes et Aurélia fit cesser les cérémonies de la déesse et voiler les objets sacrés, puis, ayant ordonné de fermer les portes, elle alla en personne avec des flambeaux partout dans la maison à la recherche de Clodius. On le découvre réfugié dans la chambre de la jeune fille qui l’avait introduit : reconnu, il est mis à la porte par les femmes qui sortirent aussitôt de la maison dans la nuit pour raconter l’affaire à leurs maris et le lendemain, il n’était bruit dans toute la ville que du sacrilège commis par Clodius et de la réparation éclatante qu’il devait non seulement à ceux qu’il avait offensés, mais encore à la Ville et aux dieux. Clodius fut donc cité par un des tribuns de la plèbe pour impiété et les sénateurs les plus influents s’unirent contre lui et, entre autres débordements, dénoncèrent un inceste avec sa propre sœur, la femme de Lucullus. Mais le peuple s’opposa à leurs efforts et prit parti pour Clodius, précieux avantage auprès des juges, effrayés et pleins de crainte devant le peuple. Quant à César, il répudia sur-le-champ Pompéia, mais, appelé à témoigner au procès, il déclara qu’il n’avait aucune connaissance des faits reprochés à Clodius. Cette déclaration parut étrange. « Pourquoi donc, demanda l’accusateur, as-tu répudié ta femme ? – C’est que, répondit-il, j’ai jugé que la mienne ne devait même pas être soupçonnée. » 

 

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