Le 1 publie cette semaine une longue enquête du journaliste Pierre Péan sur les obstructions répétées à la justice dans la recherche des responsables de l’attentat du 6 avril 1994 contre l’avion du président rwandais Habyarimana. Cet événement fut l’acte déclencheur du génocide perpétré par les Hutus qui éliminèrent près d’un million de Tutsis et de Hutus dits modérés en moins de cent jours. Plus de vingt ans après la tragédie, les thèses sur l’identité des auteurs de cet attentat continuent de s’affronter avec virulence. S’agit-il d’extrémistes hutus opposés à la politique de compromis alors engagée par le président rwandais sous la pression de la France ? Ou la culpabilité penche-t-elle du côté de Paul Kagamé, leader tutsi charismatique, devenu le chef d’État de ce petit pays de l’Afrique des Grands Lacs, désormais pacifié au prix de pratiques autoritaires ? Le dossier rwandais revient à présent au premier plan avec la réouverture à Paris en novembre 2016 de la seule enquête judiciaire au monde sur cet attentat. Dans les prochaines semaines, un témoin capital va être entendu par le juge Jean-Marc Herbaut : le général Kayumba, ancien patron des services secrets intérieurs du Rwanda, qui tient nommément Paul Kagamé pour le commanditaire de l’attentat.

Après avoir fait l’objet de trois tentatives d’assassinat, cet ancien haut responsable installé en Afrique du Sud s’apprête à parler dans des conditions de sécurité exceptionnelles. L’ouverture d’une nouvelle commission rogatoire par la justice française n’est pas du goût du président Kagamé dont les avocats dénoncent une manipulation. 

À l’automne dernier, Alain Juppé, ministre des Affaires étrangères au moment de la tragédie, a tweeté ces mots : « Faire procès à la France de porter une part de responsabilité dans le génocide au Rwanda est une honte et une falsification historique. » C’est le double enjeu de la procédure en cours : établir la responsabilité de l’attentat du 6 avril 1994, et laver l’honneur de la France, comme le souligne Hubert Védrine dans un entretien. La journaliste belge Colette Braeckman s’inscrit, elle, en faux contre cette tendance et continue de questionner le rôle de Paris dans le drame rwandais. 

À travers le récit de Pierre Péan, Paul Kagamé semble partie prenante, pour ne pas dire coupable, de l’attentat contre l’avion présidentiel en 1994. Témoins éliminés, attaques verbales répétées contre la France : les faits sont nombreux et concordants qui portent à suspecter Kagamé. Mais si la justice n’est pas encore passée, c’est aussi à cause des complaisances de l’exécutif français – le couple président-ministre des Affaires étrangères Sarkozy-Kouchner puis, dans une moindre mesure, Hollande-Fabius. On saura bientôt si le temps est venu d’une écriture apaisée de l’histoire sombre du génocide rwandais et de sa dimension judiciaire. 

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