Qu’est-ce que la croissance ? L’augmentation, année après année, des richesses produites. Comment la mesure-t-on ? En première approximation, par l’évolution du PIB.

Le concept, sans aucun doute, mérite la critique. Mais pas pour les raisons le plus souvent invoquées. Loin de sous-estimer l’importance des services publics, de l’économie de la gratuité, des prestations non marchandes, le PIB, en les prenant très largement en compte, exagère en fait, et de manière importante, la création réelle de richesses. Joseph Stiglitz, Jean-Paul Fitoussi, les écologistes de tout poil ont raison de demander un changement d’instrument de mesure. Certes, mais pas dans le sens qu’ils réclament. Plutôt à l’opposé.

Bien entendu, j’apprécie comme tout un chacun de pouvoir bénéficier du système de protection sociale français, de la gratuité des soins, d’une retraite en progression, de moyens de transport, ainsi que de spectacles dont les billets ne couvrent qu’une faible partie du prix de revient. 

Le seul petit problème est que les biens gratuits, par définition, ont un coût (il faut bien payer les gens qui les produisent qui, eux, ne travaillent pas pour rien) mais ne produisent aucune recette monétaire. C’est dire, faut-il le rappeler, que l’économie non marchande est intégralement financée par les producteurs de richesses marchandes, ceux qui, au sens propre, « font du fric ». Les deux composantes, marchande et non marchande, de l’économie doivent se développer de manière parallèle, au même rythme, sauf à faire peser progressivement un poids excessif sur l’appareil productif, à l’étouffer peu à peu, et à se croire beaucoup plus riches qu’on ne l’est en réalité. Ce qui est le cas en France aujourd’hui.

Sans doute faut-il rappeler cette vérité première : le revenu national, au sens monétaire, d’un pays est la contrepartie de sa création de richesses marchandes. Le vrai potentiel de richesses est donc mesuré par la partie marchande du PIB. Tout le reste (État, appareil de protection sociale, administrations, collectivités locales, éducation nationale), en un mot l’économie non marchande dans son ensemble, élément certes essentiel du bonheur collectif, est le fruit d’une gigantesque redistribution qui transforme le stock de richesses gagnées par la production et l’échange monétaires mais ne l’augmente pas. La gratuité est un luxe que le marché consent à financer, pour construire du collectif.

Or, si l’on regarde de plus près les chiffres français, on s’aperçoit aisément que le PIB marchand ne représente que la moitié environ du PIB total. Nous sommes en gros deux fois moins riches que ce que nous croyons : le revenu moyen mensuel par tête est en fait de l’ordre de 1 500 euros.

La démonstration est assez simple. On part d’un PIB annuel total de l’ordre de 2 000 milliards d’euros. Mais il est calculé taxes comprises (TVA notamment). Ces taxes représentent environ 10 % du ­total et ne constituent qu’un pur transfert, sans aucune création de ­richesses. Nous ne sommes donc déjà plus qu’à 1 800.

Ajoutons qu’il faut bien entendu retrancher du revenu disponible les sommes qu’il est nécessaire d’affecter au simple maintien à l’identique de l’ensemble du capital immobilisé. Les amortissements, consacrés chaque année à la constatation et la compensation de cette dépréciation des immeubles, usines, machines, équipements, qui constituent le capital du pays, permettent de passer du PIB brut dont ils représentent environ 15 % au PIB net, mesure plus exacte de la richesse réellement disponible : nous ne sommes plus qu’à 1 500.

Hommage aux splendeurs de l’économie gratuite, la comptabilité nationale ajoute au PIB les loyers virtuels que les propriétaires immobiliers sont censés se verser quand ils occupent leurs propres locaux (pourquoi d’ailleurs s’arrêter là, et ne pas comptabiliser également les services domestiques que les ménages se rendent à eux-mêmes ?). La somme est rien moins que négligeable : 4 % du PIB, sans revenu monétaire en contrepartie. Nous voilà rendus aux alentours de 1 400.

La valeur ajoutée des ­administrations est en gros estimée au montant des salaires qu’elles versent. Il ne reste plus qu’à enlever les 20 % environ du PIB total que représentent leurs prestations gratuites (chiffre d’ailleurs plus élevé en France que dans les autres pays ­développés) pour boucler la démonstration.

Si le PIB marchand est la mesure de toute richesse, comment l’augmenter pour obtenir une meilleure croissance et donc une meilleure couverture des besoins collectifs ? La production annuelle est fonction du volume de travail qui lui est affecté (population active multipliée par la durée moyenne du travail) et de la productivité. Pour produire davantage, dit l’économiste de l’offre, il faut donc travailler plus (augmentation du taux d’activité, ce qui nécessite une modification sérieuse du droit du travail, et de la durée du travail) et mieux. Pour augmenter la productivité de chacun, il faut améliorer notre système éducatif et de formation professionnelle afin ­d’accroître les qualifications techniques de la population, et investir en équipements modernes et dans les nouvelles technologies de l’information.

Enfin un investissement aussi intensif que possible est indispensable en ­recherche et développement et en innovation, seuls moyens de faire monter en gamme le niveau de nos productions, trop souvent de qualité moyenne.

Les recettes sont simples à énoncer. Leur succès à terme est certain. Seule manque aujourd’hui la volonté de les mettre en œuvre et de consacrer au secteur marchand une ­partie des ressources qui sont aujourd’hui excessivement absorbées par l’économie de gratuité. Donc faire exactement le contraire de ce que ­recommandent Stiglitz et Fitoussi, nouveaux conseils d’Arnaud ­Montebourg… 

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