Ça a débuté comme ça. Un vieux monsieur s’est penché sur moi, l’air ­mécontent. Il m’a reproché de ne pas bien boire mon lait. J’étais tout nu ; il m’avait posé contre la paroi métallique d’une balance. C’était la pesée. Je devais bien avoir trois jours et c’est fou comme on m’a soupesé, mesuré et évalué depuis.

Nos jeunesses ont l’allure d’un livre de comptes : a-t-il grossi ? a-t-il bien profité ? a-t-il seulement grandi ? Très tôt, on vous colle pieds nus contre la porte d’un placard, on vous intime l’ordre de vous étirer, on vous aplatit la tignasse sous un annuaire et on tire un trait. Alors la toise familiale, imparfaite et redoutable, rend son verdict. Le petit n’a pas pris un centimètre, le petit rétrécit…

Comme si notre enfance se résumait à ces pauvres traits tirés au crayon noir. Tous affichés, mesurés, calibrés comme des produits de batteries. Serait-ce une obsession ? une religion ? Indiscutablement. Nous avons tous été un jour « en pleine croissance »… Croître ou ne pas croître, ce n’est plus la question. Nous carburons au PIB et au PNB, à la BNP aussi, et à un tas d’autres choses !  

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