Marie Mamarbachi est une enfant rebelle de la haute bourgeoisie chrétienne d’Alep. Née en 1949, elle passe ses six premières années dans une demeure située face au célèbre hôtel Baron. Sa famille emménage ensuite à Azizié, quartier chrétien, dans un somptueux immeuble où vivent trois de ses oncles paternels. Enfant, avec ses sœurs et cousins, elle rejoint chaque jour l’école franciscaine en limousine. À la maison, on parle français, même si son père, un industriel cotonnier d’origine rurale, écorche cette langue. Marie renâcle sous le poids des conventions imposées par sa mère, une grande dame issue d’une vieille famille alépine.

Les chrétiens d’Orient, qui pouvaient pratiquer le prêt à intérêt, ont tenu un rôle majeur dans le développement de la ville après la conquête ottomane de 1516. Au fil des siècles, Alep tire profit de la coexistence de différentes communautés, mais la cohabitation avec les musulmans ne va pas toujours sans heurts. En 1956, la crise du canal de Suez entraîne une flambée d’anti-occidentalisme ; l’école franciscaine est alors incendiée.

L’enfance surprotégée de Marie ne lui offre qu’une vision très partielle d’Alep : il lui faut attendre l’âge de 15 ans pour visiter la citadelle, la grande mosquée et les souks. L’année suivante, sa famille s’exile au Liban, sa fortune mise à mal par les nationalisations du régime baasiste. C’est là qu’elle rencontre, en 1975, Michel Seurat. Au côté de ce brillant orientaliste, elle apprendra à mieux connaître sa ville et son pays natals.

Marie Seurat aura été marquée par les leçons de son mari sur la nature tyrannique du régime, recueillies dans l’ouvrage posthume Syrie, l’État de barbarie. Il y analyse notamment le soulèvement populaire de 1980 contre le régime d’Hafez Al-Assad, dont Alep fut le fer de lance, et insiste sur le caractère aveugle et féroce de la répression. Alors qu’à cette époque, en Occident, on considérait généralement le pouvoir alaouite comme un rempart contre les hordes d’islamistes obscurantistes, son travail montrait à quel point cette position était non seulement simpliste, mais dangereuse.

Le couple ne s’est jamais installé à Alep. Il a d’abord vécu à Damas puis à Beyrouth où, en mai 1985, le sociologue fut enlevé par des miliciens chiites. Ses geôliers annoncèrent sa mort près d’un an plus tard. Marie Seurat a retracé les mois d’angoisse, de désarroi et de colère qui ont suivi l’enlèvement de son époux dans son livre Les Corbeaux d’Alep. Un titre qui, rétrospectivement, paraît prémonitoire. 

 

Vous avez aimé ? Partagez-le !