Sur le seuil de l’échoppe où l’on vend des tissus de soie,
une cage abrite un rossignol,
et l’échoppe est si petite qu’elle semble elle aussi être une cage.

« La compagnie du rossignol t’est-elle agréable ? »
ai-je demandé au marchand, brun et de petite taille.
Il devint pensif, regarda le livre que je tenais à la main droite et dit d’un ton
où la sagesse était teintée de tristesse :
« La différence entre lui et moi, montrant le rossignol du doigt,
est qu’il mourrait de quitter sa cage
alors que moi je revis si je quitte la mienne. »

 

Pour atteindre la pureté du symbole, une ville doit être faite de pierres et de signes. L’espace y communique avec le temps : les souffrances d’Alep ressuscitent des vers d’antan. Voici Al-Mutanabbi, chantre de la guerre et du désert, qui affûte en vain ses sabres contre la mort. Et Al-Ma‘arrî, qui sait que le malheur est comme l’ortie : « Un rien l’abreuve et moins encore, cette herbe folle. » Un millénaire a passé sur les mots de ces poètes sans les vieillir. Parce que leur voix est toujours restée indomptée par les puissants et par l’islam, elle résonne encore chez les poètes qui refusent le joug, comme le Syrien Adonis. Né près de Lattaquié, il a grandi loin des villes. Avant d’étudier à Tartous puis à Damas. C’est à Alep qu’il fait son service militaire, avant de s’installer à Beyrouth. Blaise Cendrars écrivait : « Quand tu aimes il faut partir ». Et c’est justement par l’amour et la découverte qu’Adonis est devenu homme et nuage, blessure de la citadelle et galop des étoiles. Avec l’exil comme véritable patrie. Aujourd’hui, à Paris, il poursuit son combat pour la liberté de pensée, contre ceux qui refusent de questionner le Coran, se satisfaisant de ce qu’il y demeure, à travers les âges, de violence et de misogynie. « L’échoppe », extrait d’Alep, a paru en 2004. Sept ans plus tard, Adonis, tout en s’opposant à Bachar Al-Assad, refusera de soutenir la rébellion, au nom de la laïcité. Contre ceux qui s’émeuvent du rossignol, et retournent leur veste quand l’atrocité change de camp, qu’il est étroit le chemin pour sortir des cages. 

 

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