À la fin de L’ANNÉE 1993, alors que j’étais depuis quelques mois directeur général de la Compagnie financière Edmond de Rothschild, je fus approché par Paul Boury, grand pape des réseaux qui nous aidait à communiquer sur les sujets de banque d’affaires. Il avait connu François Hollande dans les circuits de HEC et me demandait de le recevoir. J’avais déjà rencontré ce dernier au milieu des années 1970 sur les bancs de Sciences Po et lorsque nous préparions l’ENA, où je l’ai finalement devancé d’une promotion.

Lorsque nous nous sommes retrouvés pour la première fois sous les lambris dorés du 47, rue du Faubourg-Saint--Honoré, François Hollande, qui venait de perdre son siège de député de la Corrèze, s’interrogeait sur son avenir. À sa requête, je lui décrivis les grandeurs et les servitudes du métier de banquier d’affaires. Il m’interrogea sur les compétences et les qualités requises pour y réussir. Je lui expliquai qu’à mes yeux, l’imagination, l’opiniâtreté et la capacité à avaler des couleuvres sont trois des vertus cardinales de la profession.

Lors de notre second entretien, -François Hollande se fit plus précis et me demanda si je pensais qu’il avait les qualités nécessaires pour ce métier et si la Compagnie financière pourrait éventuellement l’accueillir. Je répondis que seule la pratique permettrait de déceler s’il avait ou non les caractéristiques qui forgent un grand banquier d’affaires et que, compte tenu de son profil, je souhaitais parler d’un éventuel recrutement à Edmond de Rothschild.

Ce dernier, amusé de la démarche, me fit plutôt bon accueil. Il m’écouta vanter les qualités de François Hollande. (Il m’a fallu quelques années de plus pour découvrir ses faiblesses…) Edmond me dit qu’en 1978, lui-même et les dirigeants de la banque avaient découvert sur le tard l’appartenance au Parti socialiste d’Henri Emmanuelli, alors sous--directeur de la Banque, lorsque ce dernier sollicita un congé sans solde pour se présenter aux législatives dans les Landes où il se voyait battu. Il fut finalement élu dès cette première tentative. Edmond ajouta qu’Henri Emmanuelli, devenu plus tard l’un des dirigeants du PS, s’était toujours comporté avec bienveillance et déontologie vis-à-vis de la maison qui l’avait nourri.

Edmond de Rothschild posa néanmoins une condition à l’éventuel recrutement de François Hollande : il voulait être assuré que ce dernier avait définitivement tourné la page et ne repartirait pas, à la première occasion, solliciter les suffrages des Corréziens. Il me demanda d’expliquer à ce dernier que la Compagnie financière était une trop petite structure pour assurer la formation permanente de candidats indécis. En revanche, si François -Hollande était prêt à changer d’horizon, il était ouvert à son recrutement.

J’exposai donc notre position à l’intéressé. Ce dernier demanda à réfléchir. Il me téléphona après une quinzaine de jours et m’expliqua qu’il était toujours très désemparé par son échec électoral, qu’il n’avait pas définitivement choisi son avenir mais que, au fond de lui, il gardait le virus de la politique et préférait ne pas me mettre un jour dans l’embarras vis-à-vis d’Edmond de Rothschild.

N’ayant rien à lui demander ni à lui offrir, je n’ai jamais revu François Hollande jusqu’au salon aéronautique du Bourget 2013, où le président du Gifas, le Groupement des industries françaises aéronautiques, l’avait convié pour la traditionnelle visite du président. Dans le vacarme du Rafale, nous avons bavardé une dizaine de minutes. J’ai suggéré qu’il avait bien fait de ne pas rejoindre la Compagnie financière Edmond de Rothschild en 1993 et que son choix devait lui procurer plus de satisfaction.

Il a acquiescé. Mais nous étions au début de son quinquennat. Je ne sais comment il répondrait aujourd’hui.

Ironie des circonstances, nous évoquions cette tentation de devenir banquier d’affaires à deux pas du hall où le candidat Hollande avait déclaré, en janvier 2011 : « Mon véritable adversaire, c’est le monde de la finance. » 

Vous avez aimé ? Partagez-le !