Si j’allais voter aux primaires de la droite ? Sept candidats, lequel choisir ? Tout ça a un avant-goût de présidentielle. Même dispositif : tournées électorales, meetings, interviews, polémiques, slogans, débats télévisés et, pour finir, passage dans l’isoloir. En toute logique, je m’y prendrais comme pour la présidentielle. En commençant par me dire : « Du calme ! » Je ne supporte plus l’hystérisation de la vie politique, sa métamorphose en spectacle où, d’affrontement en invective et de polémique en petite phrase, l’électeur, de façon insidieuse, est conduit à s’identifier à la personne d’un candidat. Au bout du compte, otage de ses émotions, il se détermine de façon tout à fait irrationnelle, au gré de ses pulsions. La haine – «  Celui-là, je ne peux pas le saquer, il faut absolument qu’on le sorte ! » – ou son exact opposé, l’adulation sans conditions – «  Il a écrasé tous les autres dans le débat, c’est mon candidat ! » Et comment décrocher du feuilleton ? L’envie de croire est aux commandes, d’autant plus impérieuse que le présent nous accable et que l’avenir nous terrifie. Malheureusement, élire quelqu’un, ce n’est pas chercher une fin heureuse à une histoire. Mais une décision qui, comme telle, comporte une marge d’erreur. Comment la réduire ? 

Avant ces primaires, à mon avis, l’urgence, c’est le contraire de l’urgence : prendre son temps. Fuir un moment l’agitation médiatique, s’octroyer quelques heures de réflexion sans autre pilote que les documents où les sept candidats ont détaillé leurs programmes par écrit. Je ne les étudierais pas tout de suite. Méfiante, je m’infligerais une petite cure de détox cérébrale en relisant ce passage du Gorgias de Platon où l’on voit Socrate comparer les électeurs à un groupe d’enfants malades qui sont soignés tantôt par un médecin qui leur propose des potions amères, tantôt par des cuisiniers qui les nourrissent de plats succulents. Les enfants, évidemment, détestent le médecin, au point qu’ils décident de le faire passer en jugement. Dès que le supposé coupable comparaît, c’est plus fort qu’eux, ils le condamnent sans autre forme de procès. La cause, selon Socrate : les potions si amères qu’il leur a administrées. Le cuisinier, lui, a flatté leur palais. C’est lui qu’ils éliront, même s’il a complètement échoué à les soigner. Aussi, avant de me plonger dans les programmes des sept candidats de la droite, je m’interdirais rigoureusement de me laisser séduire par leurs savants emballages. J’irais au fond. Barbant, oui. Et pas du tout glamour. Mais le monde contemporain est-il léger et glamour ? Je le trouve plutôt explosif. Et on a les dirigeants qu’on mérite : c’est nous, les citoyens, qui propulsons au sommet de l’État tel ou tel candidat. Il nous promet des lendemains radieux ? Nous avons tout loisir d’en douter avant de l’élire. Les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent, comme disait ce fin connaisseur de la machinerie politique que fut Henri Queuille sous les IIIe et IVe Républiques. Forts de ce principe, si nous nous en prenions à nous-mêmes au lieu de nous plaindre d’avoir été dupés ? 

Pour cette raison, un second petit sas s’impose, je trouve, avant d’attaquer la lecture des programmes de la droite : dresser par écrit la liste de mes envies. Ou plutôt celle de mes attentes. Pas question que cette liste ressemble aux mini-inventaires que je griffonne avant d’aller au supermarché : « Il me manque ci, il me faut ça, et encore ça. » De mes désirs persos, je ne retiendrais que ceux qui rejoignent l’intérêt général. Et je me refuserais à tout choix qui relève de l’idéologie. Je ferais tout mon possible, en somme, pour sortir de ma bulle. Je me demanderais par exemple : « Ces derniers temps, dans le fonctionnement de la société française, qu’est-ce qui m’a choquée, révoltée ou au contraire enthousiasmée ? De quoi ai-je dit : “Mais c’est du pur jus de crâne, ça ne peut pas marcher !” » Puis, ma liste terminée, je la confronterais aux fameux programmes. En m’interdisant, là encore, de m’y promener comme dans un vaste supermarché d’options où je piocherais au hasard de mes foucades : « Tiens, ce truc-là me plaît, je le prends, c’est sympa. » Non, résolument non. J’estime que la situation de la France est trop grave pour qu’on s’y prenne en consommateur frivole. Évidemment, ça me prendrait du temps. Mais au moins je verrais clair. Clair en moi, pour commencer. Du futur président, quel qu’il soit, j’aurais compris que je n’attends plus la meilleure des solutions, mais la moins mauvaise. Avec une seule exigence : qu’il réinstalle l’humain au cœur du politique. Et l’humain, pour moi, c’est d’abord la dignité. Oui, le locataire de l’Élysée devra, d’urgence, réduire notre déficit public, potion aussi amère que celle du médecin de Socrate. Pour autant, je ne veux pas qu’il sacrifie ceux qui ne sont pas de la tribu des gagnants. Les femmes – à quand une vraie loi « À travail égal, salaire égal » ? La Nature qu’on assassine. Les enfants empêtrés dans les incohérences de l’Éducation nationale. Tous ceux qu’on abandonne à une vie sans horizon, les jeunes, les agriculteurs, les migrants, les seniors qu’on vire comme on flinguerait un avion au plus beau de son vol. Et les malades, et les vieux – notre système de santé, pas touche ! Enfin, quand s’ouvrira la campagne présidentielle, qu’on ne m’immerge plus, par pitié, dans un tourbillon d’histoires – aux deux acceptions du mot, querelles et balivernes. Je veux qu’on me parle clairement et calmement. De citoyen à citoyen.  

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