Quel regard portez-vous sur cette primaire ? Est-ce un succès ? 

Sur l’intention de participer, 7 à 8 % des inscrits sur les listes disent qu’ils iront. Soit entre 3 et 3,5 millions de votants. C’est important. Les bonnes audiences télévisées montrent un intérêt du public. On assiste à un duel entre deux visions, auquel s’ajoute le bénéfice démocratique du débat qui n’est pas confisqué. La preuve, parti de 10 % dans les sondages, Fillon se situe aujourd’hui entre 18 et 20 %. La dynamique du processus est réelle.

Quel crédit peut-on accorder aux sondages ?

Beaucoup de sondages ont été réalisés, sur des échantillons importants. On dispose de nombreuses données. Toutes sont convergentes. Sarkozy n’arrive jamais devant Juppé. Fillon n’est jamais qualifié au deuxième tour. Le nuage de points est assez cohérent dans le temps. Un différentiel est absolu et très net selon qu’on considère ceux qui se disent certains d’aller à la primaire, ou ceux qui, parmi eux, sont proches des Républicains. Si on s’en tient à ces derniers, Sarkozy est devant. Si on ajoute les apports de la gauche, des centristes et du FN, c’est Juppé. 

Sur quoi les électeurs vont-ils finalement se déterminer ? Sur les personnes ou sur leurs programmes ?

L’image des candidats joue beaucoup. Les primaires créent un renforcement sans précédent du mécanisme de la Ve République. Elles intensifient la personnalisation. La France de Juppé n’est pas la France de Sarkozy, mais elles sont incarnées. On voit deux styles, deux parcours qui s’opposent. Dans nos dernières enquêtes, Fillon monte car il a marqué des points pendant les débats. Il sera sans doute le troisième homme. Il est très proche du centre de gravité de la droite française. Pourquoi ne décolle-t-il pas davantage ? À cause de son bilan. Il prône un choc libéral, un thatchérisme à la française, mais il est resté cinq ans avec Sarkozy. Cela instille des doutes sur sa capacité à agir. C’est donc largement une question d’image.

Le fond est donc marginal ? 

Il joue tout de même. Mais l’alternative est incarnée par deux personnages dont l’image est en phase avec le message : identité heureuse ou pas. Sarkozy promet une baisse de 10 % des impôts. Dans ses meetings, les gens ne viennent pas pour ça. Ils sont là pour le showman et pour assouvir leur demande d’autorité sur le mode : « Je veux un boss. »

Chaque candidat fédère un type d’électorat de droite particulier. Comment les distinguer ?

Par les clivages socioculturels, les notions de style et de tempérament. Une salle de sarkozystes et une salle de juppéistes ne se ressemblent pas. Cela se voit à la façon dont les gens sont habillés, dont ils se comportent, dont ils parlent… On pourrait dire que l’assistance est plus populaire côté Sarkozy, mais ce n’est pas évident sur la fiche de paye. Le public est plus orléaniste chez Juppé, plus bonapartiste et plébiscitaire chez Sarkozy. Si on regarde les zones de force du sarkozysme – Nice, la Côte d’Azur, les Hauts-de-Seine –, ce ne sont pas les endroits les plus déshérités de France ! Juppé parle plus à la raison, à la tête ; Sarkozy aux tripes. L’électorat de Juppé est plus âgé, plus diplômé. Dans ses meetings, on voit des personnes âgées saluer sa hauteur de vue, sa profondeur. Sarkozy, lui, a la chemise trempée. L’auditoire recherche un candidat qui le fasse vibrer. D’où la question : sommes-nous en guerre ? Si oui, certains disent : « Choisissons quelqu’un qui nous fasse sortir de la tranchée et suivons-le tous. » Si non, les mêmes et d’autres disent : « Je veux un candidat plus posé qui réfléchit et analyse. » Ce clivage de l’électorat existe aussi au sein du personnel politique.

Se traduit-il en des zones géographiques ?

La primaire va se jouer sur la capacité de mobilisation. Dans nos sondages, on voit que 80 % des gens qui se disent proches de la droite n’iront pas voter à la primaire. C’est à qui pourra les ramener aux urnes. Sarkozy favorise la façade est et les villes moyennes plus que les Zénith de grandes villes. Sa stratégie est d’aller dans ces territoires pour motiver ses électeurs : la région Paca, notamment les Alpes-Maritimes, la France de l’Est avec des points d’appui en Rhône-Alpes grâce à Wauquiez, dans l’Oise avec Woerth. Autant de régions où le siphonnage de l’électorat frontiste par Sarkozy avait réussi en 2007. À l’inverse, du fait de son ancrage, du soutien que lui apportent Bayrou et les centristes, Juppé investit davantage la façade ouest et les grandes métropoles. Son électorat est là où il va. Il fait plus de déplacements et moins de meetings. 

Les électeurs de gauche vont-ils vraiment venir ?

Nous traquons leur détermination. Quand on « écrème » en posant des questions très directes comme : « Ça ne vous ennuie pas de faire la queue avec des gens de droite ? », on perd 20 à 30 % de ces gens. La capacité d’entraînement de Sarkozy au sein de l’électorat des Républicains pourrait au dernier moment réduire l’écart au premier tour à son profit. La stratégie habituelle des sarkozystes est de sortir en tête au premier tour pour créer la dynamique. Si c’est le cas, cela pourrait se retourner contre lui en déclenchant un réflexe de mobilisation des antisarkozystes. Les électeurs de gauche qui auront attendu le résultat du premier tour pourraient aller voter au deuxième pour lui barrer la route. 

En quoi l’élection de Donald Trump peut-elle influer sur le résultat de la primaire à droite ?

Je vois en tout cas des liens potentiels. D’abord, la trame de fond : la demande d’ordre, l’insécurité culturelle, le découplage entre des élites mondialisées et le peuple, toutes ces dimensions sont réactivées. C’est un coup de tonnerre. Mais ce que dit l’élection de Trump était diagnostiqué de longue date, aux États-Unis comme en France. Souvenons-nous du « non » au référendum sur la Constitution européenne de 2005, des performances du FN lors des derniers scrutins. Ce climat touche l’Occident, comme l’ont montré le Brexit ou la présidentielle autrichienne qui a vu l’extrême droite s’installer aux portes du pouvoir. 

La stratégie des électeurs de la primaire va-t-elle changer ? Le « risque » Marine Le Pen peut-il profiter à Sarkozy ?

Ce qui pourrait le favoriser, c’est la réponse à la question suivante : de quel type de président la France a-t-elle besoin dans un paysage international conflictuel et rugueux ? Jusqu’à présent, on expliquait la bonne santé sondagière de Juppé moins par le fond de son programme que par sa capacité d’incarnation, essentielle sous la Ve République. Juppé a bénéficié à plein de la comparaison avec Sarkozy et Hollande, qui, chacun dans leur style, ont dégradé l’image de la fonction présidentielle aux yeux de très nombreux électeurs. Juppé apparaît comme une valeur sûre, rassurante. Quand on interroge les Français, à propos de l’ancien et de l’actuel président, beaucoup répondent de façon triviale : « Lui, il ne fait pas président. » Le livre des journalistes du Monde, Un président ne devrait pas dire ça, paru chez Stock, fait de gros dégâts à gauche, mais il a aussi des conséquences à droite. Il présidentialise davantage Juppé. Néanmoins, on le voit surtout comme un président pour temps de paix. À droite, si ressouder les Français est perçu comme l’urgence première, Juppé sera avantagé. Si les électeurs pensent que l’ennemi est à nos portes et qu’il faut un chef de guerre, Sarkozy sera favorisé, notamment si on intègre dans ce schéma la victoire de Trump.

Marine Le Pen sort-elle renforcée de cette nouvelle donne ?

Les électeurs de gauche qui voteront à la primaire de la droite et du centre ont intégré que leur camp ne serait pas au deuxième tour. Ils vont choisir le « moins pire » du camp d’en face. Ceux-là pourraient conforter leur vote Juppé en se disant : mieux vaut ne pas avoir un mini-Trump chez nous. Nos sondages montrent que sur cent électeurs qui iraient voter à cette primaire, on compte autant d’électeurs venant de la gauche que du FN. Mais autant les premiers votent massivement pour Juppé, autant ceux du FN ne votent pas comme un seul homme pour Sarkozy : Juppé obtient des voix en raison de sa stature présidentielle, certains votent pour Fillon… Sarkozy fait campagne très à droite, mais ce n’est pas la martingale assurée. Quand on écoute des électeurs du FN parler de l’ex-président, on entend des propos comme : « Il est bon, il parle bien… mais il nous l’a déjà fait ! » Son handicap auprès de cet électorat, c’est son bilan.  

Propos recueillis par ÉRIC FOTTORINO et VINCENT MARTIGNY

 

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