Le vote est l’acte civique qui fonde le lien de représentation en démocratie. Il est ancré dans les profondeurs historiques, sociologiques, territoriales et mémorielles des électeurs, et constitue un acte rituel à très haute valeur ajoutée en termes symboliques. Le vote dominical aux élections primaires n’échappe pas à cette règle. 

C’est sans doute la raison pour laquelle la question des électeurs « infiltrés », ces électeurs de gauche, voire du Front national, qui veulent participer à la primaire de la droite (et du centre) a provoqué des débats. Cette participation est subordonnée à la signature d’une charte d’adhésion aux « valeurs républicaines de la droite et du centre » et d’engagement « pour l’alternance afin de réussir le redressement de la France ». Chaque mot de cette charte a été soigneusement choisi par les organisateurs, en particulier la référence aux « valeurs républicaines » ; mais cette référence est accompagnée de la mention « de la droite et du centre ». C’est dans l’entrelacs de cette expression que les électeurs « infiltrés » peuvent venir se glisser sans avoir le sentiment de trahir leurs propres convictions politiques.

Quels sont donc ces électeurs ? Sont-ils de grands stratèges qui viennent jouer sur les terres de la droite afin de pousser les feux de la division dans le camp adverse ? Pour répondre à cette question, on dispose d’un instrument d’observation exceptionnel, l’enquête électorale française 2017 du CEVIPOF, la plus grande enquête électorale académique jamais réalisée en France : un panel de près de 20 000 électeurs a été constitué en novembre 2015 afin de suivre les évolutions des comportements et attitudes politiques jusqu’aux élections de 2017. La dernière vague de questions à laquelle ce panel électoral a répondu – la vague 7, en date du mois d’octobre – indique que 7,5 % des personnes interrogées se déclarent certaines d’aller voter à la primaire. Cette estimation annonce une forte participation : elle pourrait concerner près de 3 ou 3,5 millions des 44,8 millions d’électeurs inscrits sur les listes électorales au 1er mars 2016. Il faut néanmoins être prudent car on sait que les enquêtes électorales peuvent surestimer la participation politique, qui est vue par les répondants comme une norme civique valorisée. On peut néanmoins dégager un certain nombre d’observations. 

Parmi ces 7,5 % d’électeurs qui se déclarent certains d’aller voter à la primaire et qui expriment une intention de vote, 10 % déclarent une proximité politique avec un parti de gauche et 12 % avec le Front national. Près d’un quart de l’électorat potentiel vient donc d’une autre famille politique que la droite et le centre.

Lorsqu’ils sont de gauche, ces « infiltrés » déclarent presque exclusivement avoir l’intention de voter pour Alain Juppé : le maire de Bordeaux attire ainsi 83,9 % des sympathisants socialistes certains d’aller voter à la primaire, 73,5 % de ceux qui se situent « très à gauche », 65,9 % de ceux qui se disent « à gauche » ou encore 74,8 % de ceux qui déclarent avoir voté en 2012 pour François Hollande au premier tour.

Pour les « infiltrés » qui sont proches du FN, la situation est moins homogène : 47 % de ceux qui se classent « très à droite » se prononcent en faveur de Nicolas Sarkozy, de même que 34 % des sympathisants du FN et 31 % de ceux qui ont voté pour Marine Le Pen en 2012. Mais les intentions de vote de ces électeurs sont loin d’être univoques : environ un quart d’entre eux déclarent pouvoir voter pour Alain Juppé. La stratégie très droitière de Nicolas Sarkozy ne semble donc qu’un demi-succès même si elle lui garantit un apport appréciable d’électeurs classés « très à droite ». On voit d’ailleurs que la posture de fermeté adoptée par Bruno Le Maire durant la campagne de la primaire sur les questions d’autorité et de sécurité lui permet de récolter les voix de 17 % des sympathisants FN – et de 21,7 % des électeurs ayant voté pour Marine Le Pen en 2012. 

La participation des sympathisants de la gauche ou du FN à la primaire de la droite et du centre – si elle passe le cap des intentions – ne sera pas quantité négligeable, mais elle ne devrait pas être décisive. La bataille se jouera plutôt sur deux autres plans : le nombre d’électeurs centristes, eux aussi presque exclusivement favorables à Alain Juppé, et peut-être plus encore la capacité de Nicolas Sarkozy à engendrer une vraie dynamique en sa faveur chez les électeurs de droite et les sympathisants des Républicains. Creuser l’écart avec Alain Juppé dans ce segment a des allures de balles de match pour l’ancien président.  

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