Que l’Amérique redevienne l’Amérique.
Qu’elle soit le rêve de jadis.
Qu’elle soit ce défricheur de plaines
Qui recherchait quelque endroit au monde où il se sentît vraiment libre.

(L’Amérique ne fut jamais pour moi l’Amérique.)

Que l’Amérique soit ce rêve dont les rêveurs rêvèrent –
Qu’elle soit ce grand pays riche d’amour
Où il ne saurait se trouver de rois pour tolérer ni de tyrans pour admettre
Qu’un homme soit écrasé par un plus puissant.

(Ce ne fut jamais pour moi l’Amérique.)

Oh, que ce pays mien soit une terre où la Liberté
Ne s’embarrasse d’aucune fausse auréole patriotique,
Mais qu’il y soit donné à chacun de pouvoir tenter sa chance et où la vie y soit libre,
Et que l’air qu’on y respire soit bel et bien celui de l’Égalité.

(Je n’ai jamais connu l’Égalité
Ni la Liberté dans ce « pays d’hommes libres ».)

Mais au fait, qui êtes-vous, vous qui marmonnez dans le noir ?
Qui êtes-vous, vous qui vous mettez en travers de la bannière étoilée ?


Je suis le Blanc pauvre, dupé et repoussé de part et d’autre,
Je suis le Nègre marqué du sceau de l’esclavage.
Je suis le Peau-Rouge chassé de sa propre terre,
Je suis l’Immigrant qui désespérément m’accroche à l’espoir que je cherche –
Pour ne trouver que cette vieille histoire, toujours la même :
Les loups se mangent entre eux, les plus forts écrasent les plus faibles.
[…]

 

« Make America great again » fut le slogan de campagne de Ronald Reagan, puis de Donald Trump. Comme si le rêve américain était un paradis perdu que les hommes politiques pouvaient rétablir. À lire Let America Be America Again, qui date de 1935, on a pourtant l’impression qu’hier ressemble à aujourd’hui. En pleine crise économique, Langston Hughes y chante les droits du « travailleur le plus pauvre, troqué au cours des âges ». Pour lui et des millions d’autres, l’Amérique n’a jamais encore été l’Amérique : un « pays d’hommes libres ». L’écrivain noir fut l’un des plus célèbres poètes, romanciers et dramaturges de la Harlem Renaissance. En transposant à l’écrit les accents de la rue, en jazzant ses chroniques de la misère sur un air de boogie, il fait œuvre politique. Et devient une source d’inspiration pour les poètes francophones de la négritude, parmi lesquels le Guyanais Léon-Gontran Damas, dont les vers frénétiques cadencent également le rire et la colère. C’est en 1966, trente ans après avoir rencontré son auteur, qu’il traduit le poème ci-dessus, et son serment audacieux : « L’Amérique se fera. » Dans un monde que les ségrégations menacent chaque jour davantage, voyons-y aussi l’occasion d’un credo combatif en la démocratie. 

 

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