Ô mon peuple français, ô mon peuple lorrain. Peuple pur, peuple sain, peuple jardinier.
Peuple laboureur et cultivateur.
Peuple qui laboures le plus profondément
Les terres et les âmes.
Toujours tes eaux seront des eaux vives.
Et tes sources toujours des fontaines jaillissantes.
Toujours tes rivières seront des eaux courantes et tes fleuves.
Et tes secrètes sources dans tes mystérieux.
Dans tes merveilleux, dans tes douloureux jardins.
Toujours une eau courante, une eau saine arrosera tes prés.
Toujours une eau saine montera dans ton Blé.
Toujours une eau saine, rare, abondante, une eau précieuse, toujours une eau saine montera dans ta Vigne.
Peuple qui fais le Pain, peuple qui fais le Vin.
Ô ma terre lorraine, ô ma terre française,
Peuple qui suis le mieux, qui as le mieux pris les leçons de mon fils.
Peuple accointé à cette petite Espérance.
Qui jaillit partout dans cette terre.
Et dans les mystérieux.
Dans les merveilleux, dans les très douloureux jardins des âmes
Peuple jardinier qui as fait pousser les plus belles fleurs
De sainteté
Par la grâce de cette petite Espérance.

Peuple qui fais reculer les pestilences
Par l’ordre. Par la propreté, par la probité ; par la clarté.
Par une vertu qui est en toi, par une vertu propre, par une vertu unique.
Peuple jardinier, qui laboures et qui herses,
Qui bêches et qui ratisses,
Qui ameublis la création même.

 

Pour son douzième anniversaire, Alain Juppé reçut le deuxième volume des Œuvres en prose de Charles Péguy en Pléiade. Ce fut son premier contact avec une œuvre littéraire : cette prose répétitive « comme le flux de la mer qui vous prenait et vous roulait ». Aujourd’hui encore, le candidat, qui se veut porteur d’espérance, cite le poète dans ses discours. Moins sans doute, de la part de l’ancien inspecteur des finances, pour le militantisme socialiste de l’écrivain qui dénonçait les puissances de l’argent. Ou pour la foi chrétienne d’un Péguy mystique, Alain Juppé se définissant comme « catholique agnostique ». Que, peut-être, pour une certaine idée de la France. Car, dans l’« identité heureuse » prônée par l’homme politique, il y a quelque chose de la nation résiliente, qui fait une eau potable des malheurs et des sources mauvaises, chantée par Péguy. Un souvenir aussi de la laïcité de l’écrivain qui lui faisait voir le peuple français en fils aîné de l’Église autant que de la Révolution. Dans le long poème du Porche du mystère de la deuxième vertu dont les vers ci-dessus sont extraits, la parole est à Dieu qui célèbre un pays laborieux, ordonné comme ses jardins classiques. Quelles vertus suppose le travail fait avec honnêteté, comme une prière, psalmodie Charles Péguy ! Deux ans plus tard, dans L’Argent, il dénoncera le capitalisme moderne, qui, en traitant le travail comme une valeur de bourse, a aliéné les hommes. Qu’en pense le « libéral par pragmatisme » Alain Juppé ?

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