Faut-il avoir peur de Facebook ?

Il ne faut pas oublier le principal : Facebook, cela marche ! On en parle trop comme de quelque chose d’intemporel, d’immatériel, un ensemble de petits gadgets. Non, le terme de réseau social n’est pas usurpé. Nous sommes en face d’un mouvement d’une ampleur inédite qui a réussi à capter 1,7 milliard de personnes dans le monde. L’extrême diversité des usages que l’on peut en faire est impressionnante. Messagerie, bibliothèque, album de photos, journal, boîte à musique… Facebook fait tout. Il supplante le mail, YouTube. Il est le seul à être sur tous les créneaux. Sur tous les fronts. Et bien articulé. Complètement incrusté dans la vie des gens. 

Pour en faire quoi ? 

Du business, d’abord. Facebook, on a aussi tendance à l’oublier, c’est d’abord une entreprise. La première entreprise publicitaire du monde avec 6,4 milliards de dollars de chiffre d’affaires au deuxième trimestre 2016. Du petit artisan péruvien à Coca-Cola en passant par la PME de Franche-Comté, Facebook est le passage obligé. C’est aussi le nouveau kiosque à journaux du monde. Ils décident qui va être en tête de gondole. Au bout du compte, ce sont eux qui choisissent qui va être diffusé. Savoir tant de choses sur tant de gens, c’est un pouvoir qui n’a jamais existé dans l’histoire de l’humanité. 

Et derrière, il y a les Américains ?

Comment cela, derrière ! Les Américains SONT Facebook. Nous ne sommes pas en face d’une sorte de galaxie mondialisée, mais d’une entreprise profondément américaine, aux points de vue technologique, financier mais aussi culturel. Au départ, ne l’oublions pas, Facebook a été conçu par des Américains pour des Américains et pas dans une optique planétaire. Et puis les pays du monde entier s’y sont agrégés. Il faut avant tout comprendre que si Facebook a une portée planétaire, il est profondément ancré dans le terroir américain. 

Le terroir ? 

Oui, le terroir. C’est aussi un vieux pays, l’Amérique. La « société Facebook », c’est un peu le copier-coller de la pensée dominante de la démocratie américaine. Une société tournée vers l’intérieur. En fait, l’Américain du New Jersey, il a bien l’impression de dominer le monde ! Il se dit en conséquence que c’est à l’autre de changer, et pas à lui. Les Américains restent persuadés qu’ils sont les leaders du monde et qu’ils doivent tous nous conduire vers une société idéale. Attention : ce n’est plus la proclamation vengeresse que l’on pouvait entendre du temps de la guerre froide, mais une avancée plus insidieuse. Le soft power. C’est un nouveau capitalisme. Plus abouti. Plus efficace aussi. Ils n’ont plus à souffrir du principal point faible du capitalisme d’avant : son caractère héréditaire, avec le fils du patron qui devenait patron, comme le fils du roi devenait roi. Eux, leurs successeurs, ce seront les meilleurs, les plus efficaces. Qui connaît les enfants de Steve Jobs ? 

D’où, pour l’Amérique, cette tentation d’imposer, notamment par le canal de Facebook, sa vision du monde. Et de censurer ce qu’elle veut censurer. 

Bien sûr, Facebook nous impose la vision américaine de ce qui est socialement acceptable et de ce qui ne l’est pas. Ainsi, les Américains sont plus libéraux ou plus laxistes que les Européens en ce qui concerne, par exemple, les discours extrémistes. Ils pourront ainsi laisser s’exprimer les pires des néonazis, estimant que, dans ce cas, la solution n’est pas d’interdire mais de convaincre, de remettre dans le droit chemin. En revanche, ils sont d’une rigidité absolue en ce qui concerne la nudité ou la sexualité. Plutôt un discours de Hitler que L’Origine du monde de Courbet ! Il a fallu que la Première ministre norvégienne monte au créneau pour que ne soit plus censurée l’image, pourtant vue des millions de fois, de la petite Vietnamienne, nue, fuyant les bombardements au napalm. Pour les algorithmes de Facebook, la nudité des enfants est liée obligatoirement à la pédophilie ! Il faut bien comprendre que ce n’est pas tous les jours que des Premiers ministres interviendront. Mais, après tout, les Américains ont beau jeu de dire qu’ils n’obligent personne à passer par Facebook et que nous sommes libres de créer nos propres réseaux. 

Justement, pourquoi les Européens sont-ils aussi dépendants de Facebook ? Pourquoi n’ont-ils pas créé leur propre réseau ? 

C’est comme si on demandait à des habitants de la Papouasie pourquoi ils ne sont pas allés sur la Lune. Bon, je plaisante. Il faut d’abord comprendre que les Européens ont adopté Facebook à une vitesse phénoménale. Un matin, les Norvégiens se sont aperçus qu’ils étaient tous sur Facebook ! Il faut comprendre que le « désir d’Amérique » est toujours extrêmement prégnant chez les Européens, quoi qu’ils puissent en dire. L’essentiel reste que les États-Unis nous ont pris totalement de vitesse et que nous avons loupé cette révolution. Globalement. Au niveau matériel d’abord. Il n’y a plus de smartphones made in France. Les Européens auraient pu se grouper, comme dans le cas d’Airbus, pour tenter de damer le pion aux Américains. Ils ne l’ont pas fait. 

Les Chinois, eux, ont réussi. 

Oui. Si on veut devenir une puissance mondiale, il faut s’en donner les moyens. Les Chinois veulent aller sur la Lune. Sur Mars. Ils veulent aussi maîtriser l’Internet. En ce qui concerne le matériel, pour devenir autosuffisants, ils ont d’abord importé massivement des produits américains. Ils les ont démontés, copiés, et aujourd’hui non seulement ils fabriquent leurs propres routeurs, mais ils en vendent aux Européens. Ils ont aussi mis en place un système de censure très efficace. 

 

Propos recueillis par JOSÉ-ALAIN FRALON

 

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