Dès ses premiers mois, le quinquennat de François Hollande a été marqué par la vigueur du mouvement d’opposition au projet de mariage homosexuel. De septembre 2012 à l’été 2013, la Manif pour tous a ainsi fait irruption dans le débat public et donné naissance à un mouvement authentiquement conservateur au sens de Karl Mannheim, c’est-à-dire d’un « traditionalisme devenu conscient », ayant pour objet la défense d’un ordre social naturel jugé menacé. Cependant, la Manif pour tous était d’abord le fruit d’une adaptation du monde catholique français à la nouvelle configuration sociale de notre pays, adaptation rendue possible par le concile Vatican II et par la résolution des conflits qui en étaient issus. L’influence de ce mouvement conservateur sur la droite française, l’attention que lui portent plusieurs candidats à la primaire de la droite et du centre, la capacité qui est la sienne à inhiber une gauche qui avait longtemps embrassé une conception libertaire de la société est un fait nouveau par rapport aux élections présidentielles précédentes.

Depuis Vatican II, on sait que le catholicisme français a profondément évolué. Le nombre de pratiquants réguliers (les « messalisants ») a chuté. La pratique elle-même a profondément muté, devenant plus individualisée et plus diverse. Les communautés charismatiques ont pris leur essor à partir de la fin des années 1960 et progressivement remplacé le catholicisme de gauche comme force dynamique du catholicisme français. Quant à la querelle liturgique, elle fut portée à son paroxysme avec la rupture de Mgr Marcel Lefebvre et de ses proches en 1988 après leur excommunication. Il fallut attendre le motu proprio Summorum Pontificum de Benoît XVI en juillet 2007 pour clore un conflit qui avait donné aux traditionalistes, selon les propres mots de l’abbé Guillaume de Tanoüarn, « une bannière » – à savoir le rite selon le missel de saint Pie V, improprement appelé « messe en latin » – qui avait permis l’ancrage d’une contestation des options prises par Rome sous les pontificats de Jean XXIII et, surtout, de Paul VI.

Après le concile cependant, une force nouvelle naquit et monta progressivement en puissance. Le mouvement nommé Renouveau charismatique est incontestablement l’un des moteurs de la mutation du monde catholique français. International, il comprend plusieurs communautés, dont celle de l’Emmanuel, associant prêtres et laïques. Néopentecôtiste et catholique, la Communauté de l’Emmanuel s’est vu confier, le 25 juillet dernier, la responsabilité du domaine de la Trinité-des-Monts, lieu emblématique de la présence française à Rome depuis Charles VIII, comprenant une église, un couvent, un établissement scolaire et une hostellerie, le tout à deux pas de la villa Médicis. La montée en puissance de cette communauté, considérée d’abord comme un mouvement piétiste se tenant à l’écart des débats publics, a façonné la vision du monde de plusieurs générations de jeunes catholiques. Chaque année, d’imposantes sessions se déroulent à Paray-le-Monial en Saône-et-Loire, lieu de pèlerinage confié à sa charge en 1986 : plusieurs milliers de personnes y sont accueillies chaque semaine des deux mois d’été. Mettant l’accent sur le rôle de l’Esprit saint et l’adoration eucharistique, s’intéressant à des thèmes comme la bioéthique, l’écologie ou développant récemment un programme « Courage » consacré à l’« accompagnement » et à la vie « avec » l’homosexualité, la Communauté fait figure, à la fois sur le plan liturgique dans nombre de paroisses mais également sur le fond, de moteur intellectuel et philosophique des mutations en cours.

Le processus qui mène à la Manif pour tous passe, à partir des années 2000, par une hybridation des préoccupations charismatiques et traditionalistes chez un nombre croissant de jeunes croyants. Les frontières s’estompent tandis que les appels à l’évangélisation de Jean-Paul II et la contestation d’une pastorale de l’« effacement » façonnent la conception spirituelle et la volonté d’agir dans la cité de croyants acquis à l’idée qu’il faut devenir « visibles ». L’esprit « tradismatique » naît ainsi progressivement et précède l’enclenchement de la Manif pour tous. Quelques mois avant les plus grandes manifestations, ils sont près de soixante mille jeunes catholiques français à se rendre aux Journées mondiales de la jeunesse (JMJ) à Madrid à la rencontre du pape Benoît XVI. Dans son introduction à l’édition de l’an 2000 de La Foi chrétienne hier et aujourd’hui, Joseph Ratzinger dénonçait l’héritage de 1968, le rôle du marxisme et constatait le retour de la religion après 1989. Son texte résonne, quinze ans plus tard, comme le manifeste d’une nouvelle génération de catholiques.

Mgr Dominique Rey, évêque du diocèse de Fréjus-Toulon, issu de la Communauté de l’Emmanuel, est ainsi l’un des artisans du retour en force des catholiques dans le débat public. L’Observatoire sociopolitique (OSP) de son diocèse, véritable think-tank à la pointe des combats du catholicisme français, coorganise les universités de la Sainte-Baume, qui ont accueilli Marion Maréchal-Le Pen en 2015 et ont pris en 2016 pour thème « Cultivons nos identités ».

Depuis 2013, le catholicisme apparaît de nouveau comme une force sociale et philosophique dynamique dans la société française. Le projet de loi sur le mariage pour tous a occasionné manifestations monstres et mobilisations plus sporadiques, et surtout engendré un mouvement social conservateur qui transcende le seul catholicisme pour se projeter dans la vie politique et sociale française. La mobilisation, dont le cœur est « la France la plus catholique », s’est élargi à d’autres secteurs de la société française. Certains opposants à la loi Taubira ont ainsi choisi d’investir l’UMP (devenue depuis Les Républicains) par le biais de Sens commun. L’attention portée au mouvement conservateur par un candidat comme François Fillon et, malgré ses voltefaces et revirements, par Nicolas Sarkozy, la sympathie maintes fois manifestée par les présidents de conseils régionaux Laurent Wauquiez et Bruno Retailleau, l’investissement de militants de la Manif pour tous dans les nouvelles municipalités de droite conquises en 2014 (à Angers ou Tours, par exemple) ou dans les conseils départementaux et régionaux de droite, témoignent de la vigueur d’un mouvement qui pèse plus que jamais sur le débat et les politiques publics. Depuis le printemps 2013, on assiste à l’efflorescence d’une myriade d’initiatives comme celle des Veilleurs, animés par Gaultier Bès, Marianne Durano ou Axel Rokvam. Fortement connectés au 2.0 et occupant les places publiques, ils posent frontalement la question de la décroissance et de la remise en cause du système productiviste. Ils créent ensuite, avec d’autres jeunes intellectuels, la revue Limite, moins « de droite » que conservatrice.

Il faut toutefois se garder d’imaginer une trajectoire unilinéaire du monde catholique français. Les débats naissants en son sein, consécutifs à Laudato Si (Loué sois-tu !) et Evangelii Gaudium (La Joie de l’Évangile), deux textes du pape François prônant non seulement une évolution « écologiste » du message de l’Église mais aussi une plus grande attention portée au monde des périphéries, ne seront pas sans conséquence sur l’engagement politique des catholiques de France… 

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