Un coucou ne fait pas plus le printemps qu’une hirondelle
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Certes, ils sont nombreux, ceux qui souhaiteraient, ceux qui rêveraient… Ah, s’il se passait enfin quelque chose ! Si l’on pouvait voir bouger les lignes, se déployer des énergies nouvelles pour bousculer un système institutionnel exsangue ! Et voilà que surgit celui par qui le renouveau pourrait arriver. Parce qu’il tient un discours en contradiction totale avec celui de son camp, on loue son audace. Parce qu’il promet de pourfendre les immobilismes, on se dit qu’il va changer les choses. Emmanuel Macron répond à une attente essentielle du peuple français : en finir avec une alternance sans alternative qui voit les mêmes se succéder au magistère de l’impuissance, un coup à droite, un coup à gauche. Mais secouer les vieux partis suffira-t-il à répondre aux défis du temps ?
On en doute d’autant plus qu’une fois le vernis de « bougisme » égratigné, qu’est-ce que le « macronisme » ? Un éloge de cette fiction qu’est l’individu libéral, détaché de toutes les anciennes solidarités, et rêvant de devenir millionnaire dans un monde simplement régi par le droit et le marché. L’exemple servi par le brillant ministre pour séduire des jeunes de banlieue en dit plus long que tous les discours politiques : « Moi, je cours moins vite le 100 mètres qu’Usain Bolt, mais ce n’est pas parce qu’on va ralentir Usain Bolt que je serai plus heureux ! » Bel éloge de la responsabilité individuelle, mais qui oublie le pendant nécessaire : comme il y a des règles antidopage en sport, on peut souhaiter une limitation de l’optimisation fiscale et du dumping social sans que cela ne bride les belles énergies. Métaphore, surtout, qui réduit l’existence humaine au déploiement d’une performance individuelle.
Dans le monde d’Emmanuel Macron, la République sert à « organiser une communauté humaine, sociale et politique dans laquelle on peut exercer sa spiritualité dans l’autonomie », tandis que « les religions proposent du sens ». Des quelques bribes de réflexions qu’il a jusque-là livrées sur des sujets qui, au mieux, lui semblent secondaires, au pire, lui paraissent trop glissants pour y risquer sa popularité, on comprend qu’il fait sienne la vision libérale progressiste d’une démocratie qui aurait pour objet le développement infini des droits individuels et l’épanouissement du moi par la participation à l’émulation consumériste. Culte tristement classique d’un progrès jamais véritablement défini, ou réduit à sa part la plus pauvre, le progrès technique et le bien-être qu’il engendre. Quitte à accepter l’emprise croissante des multinationales du numérique. On est très loin de la réflexion de George Orwell : « Quand on me présente quelque chose comme un progrès, je me demande avant tout s’il nous rend plus humains ou moins humains. »
La démarche idéologique d’Emmanuel Macron a cependant une vertu. Celle de clarifier les débats en mettant en lumière l’artifice des clivages actuels. Le nid politique dans lequel il s’installe, tel le coucou, était certes largement occupé, mais en ordre dispersé. Les adeptes de la « révolution macronienne » (révolution au sens étymologique, puisqu’il s’agit de revenir au même point) se recrutent aussi bien à droite qu’à gauche (même si à gauche, on l’assume moins volontiers), chez ces progressistes autoproclamés qui pensent que si leur système a échoué depuis trente ans, c’est parce qu’on n’est pas allé assez loin dans l’alignement sur les critères de l’économie globalisée. Ceux qui conviennent doctement (et après quelques désastres référendaires) qu’il faut refonder l’Europe en s’appuyant sur les peuples, mais qui proposent de le faire avec les mêmes hommes, acquis aux mêmes dogmes du capitalisme financiarisé. Ceux qui pensent, comme Margareth Thatcher et comme Emmanuel Macron, qu’il n’y a pas d’alternative.
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