Comme s’il pressentait que son heure était proche,
Grave, il ne faisait plus à personne un reproche ;
Il marchait en rendant aux passants leur salut ;
On le voyait vieillir chaque jour, quoiqu’il eût
À peine vingt poils blancs à sa barbe encor noire ;
Il s’arrêtait parfois pour voir les chameaux boire,
Se souvenant du temps qu’il était chamelier.

Il songeait longuement devant le saint pilier ;
Par moments, il faisait mettre une femme nue
Et la regardait, puis il contemplait la nue,
Et disait : « La beauté sur terre, au ciel le jour. »

Il semblait avoir vu l’Éden, l’âge d’amour,
Les temps antérieurs, l’ère immémoriale.
Il avait le front haut, la joue impériale,
Le sourcil chauve, l’œil profond et diligent,
Le cou pareil au col d’une amphore d’argent,
L’air d’un Noé qui sait le secret du déluge.
Si des hommes venaient le consulter, ce juge
Laissait l’un affirmer, l’autre rire et nier,
Écoutait en silence et parlait le dernier.
Sa bouche était toujours en train d’une prière ;
Il mangeait peu, serrant sur son ventre une pierre ;
Il s’occupait lui-même à traire ses brebis ;
Il s’asseyait à terre et cousait ses habits.

Il jeûnait plus longtemps qu’autrui les jours de jeûne,
Quoiqu’il perdît sa force et qu’il ne fût plus jeune.

À soixante-trois ans, une fièvre le prit.
Il relut le Koran de sa main même écrit,
Puis il remit au fils de Séid la bannière,
En lui disant : « Je touche à mon aube dernière,
Il n’est pas d’autre Dieu que Dieu. Combats pour lui. »
Et son œil, voilé d’ombre, avait ce morne ennui
D’un vieux aigle forcé d’abandonner son aire.
Il vint à la mosquée à son heure ordinaire,
Appuyé sur Ali, le peuple le suivant ;
Et l’étendard sacré se déployait au vent.
Là, pâle, il s’écria, se tournant vers la foule :
« Peuple, le jour s’éteint, l’homme passe et s’écoule ;
La poussière et la nuit, c’est nous. Dieu seul est grand.
Peuple, je suis l’aveugle et je suis l’ignorant.
Sans Dieu je serais vil plus que la bête immonde. » […]

 

En 1829 déjà, Victor Hugo critique le voile. Ou plutôt l’assujettissement des femmes qu’il peut supposer. Dans son recueil Les Orientales, quatre frères poignardent leur sœur parce que, sous l’air suffoquant de midi, elle a dévoilé son visage. L’Orient est alors une préoccupation générale, commune au peintre Delacroix et aux écrivains Byron et Goethe. Hugo le souligne dans sa préface : ce qu’il a voulu faire de son livre, c’est moins une cathédrale gothique qu’une mosquée. Trente ans plus tard, il intitule « L’Islam » une partie de La Légende des siècles, et consacre un long poème à la mort de Mahomet. Car le dernier prophète des musulmans est semblable à ces mages qui « émiettent pour les âmes Dieu ». D’après le poète déiste, un agent de l’épanouissement de l’humanité ; alors que les religions, une fois établies avec leurs clergés, prostituent l’idéal. Admirons les ressources lyriques d’un tel idéalisme, sans y adhérer. Car, à séparer Bien et Mal, on en oublie combien la sagesse est plastique, sans Éden ni direction, sans pomme ni ver dans le fruit. De quoi nous inciter à plus de distance. Pourquoi ne pas tous sourire au double ridicule du burkini et de son interdiction ? Jamais on n’aura autant scruté des femmes qui ne voulaient pas se faire voir. Après le portrait d’une libanaise intégralement voilée, parce que séduisante jusque par ses sourcils, Germain Nouveau, écrivait : « Frère, n’est-ce pas là la femme que tu veux : / Complètement pudique, absolument obscène, / Des racines des pieds aux pointes des cheveux ? »

 

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