Doucement passe par les petites églises
sans demander ta route,
prends dans ta main celle en bois des saints
imprégnée de sang et de lait,
regarde aux voûtes des mosquées
frémir les blancs serpents,
accorde ton propre temps
aux horloges domestiques de l’éternité,
penché va sous les nocturnes cloches
au bourdon clair et lourd
comme des étoiles tomberaient sur un casque,
et dans la forêt des grandes roses
reste un moment avec les artisans
qu’ils retouchent ton visage d’un ciseau tendre.

Et puis gravis les montagnes !
Jusqu’aux coupes géantes qu’emplit la glace,
jusqu’aux froids balcons de brume.
Alors regarde en bas,
ces courses de folles forêts
et les animaux plus furieux que le vent,
il n’y aucun peuple à l’horizon,
et ne s’élance nul édifice,
là personne n’est encore arrivé
ni le concert des voix, ni le fleuve !

Et tout n’était qu’illusoires navires
sur la haute mer brune de l’origine.

Extrait de La Voix sous la pierre, traduit par Robert Marteau. 

© Miodrag Pavlovic, 1968. © Éditions Gallimard, 1970,
pour la traduction française.

Né en 1928 en Serbie, Miodrag Pavlovic compare le cours de l’histoire aux mouvements des crabes : « Ils croient progresser / quand à rebours / ils évoluent ». Le poète a connu le traumatisme des guerres. Son œuvre au présent ressuscite les légendes passées. Celles du Nouveau Testament, de la Grèce antique et surtout du Moyen Âge slave. Une époque héroïque et tragique : déjà la violence et l’exil. De quand datent la chute, la souillure de la vie ? Dans « Itinéraire balkanique », écrit à la fin des années 1960, l’auteur invite le lecteur à un voyage intellectuel et spirituel. Le pèlerin choisit seul son chemin parmi les religions. Sur les statues des saints, le lait marial se lie au sang du Christ. Que d’images qui mêlent la tradition à l’expérience sensible ! Et la promenade prend de la hauteur. La nature rend humble le marcheur. Du haut des Balkans, l’origine nous échappe. Au poète d’ouvrir grâce aux mots nos yeux au réel, de cultiver « le miel dans les troncs du langage ». Car l’espoir de changer le monde existe. Il se faufile par un trou de souris. « C’est alors qu’on voit / qu’ouverte est la genèse ». La création reste à achever. En 1995, Miodrag Pavlovic publie Leçons de l’histoire. Des poèmes en prose corrosifs sur les conflits. Toujours les hommes se croient les plus forts. Et que vaut la bonne volonté sans la mémoire ? « Qu’est-ce qui s’est passé il y a trente ans ? Tu ne t’en souviens plus toi-même ! Donc, rends-toi coupable d’une autre mauvaise action. » 

À lire du même auteur : Entrée à Crémone (Circé, 2008)et Cosmologia profanata (Mémoire Vivante, 2009).

 

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