Pour les plus pauvres et les plus vulnérables, partout dans le monde, respirer tue. Respirer handicape à vie. Respirer rend gravement malade. La pollution de l’air domestique, liée dans les pays à faible niveau de développement humain à la cuisson des aliments à l’aide de matières solides, est responsable de plus de 4 millions de morts par an, en majorité des femmes et des enfants. La pollution de l’air extérieur cause, quant à elle, près de 3,5 millions de décès chaque année sur la planète, à 90 % dans les pays pauvres. 

En France, la pollution de l’air intérieur serait responsable de 20 000 décès par an. La localisation et la qualité du logement (notamment la hauteur, l’isolation et la ventilation des pièces), corrélées au niveau de revenu, joueraient un rôle déterminant dans cette hécatombe sociale. Et si les normes de l’OMS en matière de particules fines étaient respectées, l’espérance de vie pourrait augmenter de 4 à 8 mois selon la ville concernée. Qui plus est, l’impact sanitaire de cette pollution varie considérablement selon les espaces urbains (du simple au double de Toulouse, ville la moins polluée, à Marseille, ville qui l’est le plus) et même à l’intérieur de ceux-ci. Habiter à proximité du trafic routier augmente ainsi sensiblement la morbidité attribuable à la pollution atmosphérique : au contact des voies à forte densité de trafic automobile, on constate une augmentation de 15 à 30 % des nouveaux cas d’asthme chez l’enfant. Une équipe française, pilotée par Denis Zmirou-Navier qui anime notamment le projet de recherche Equit’Area, a pu distinguer à cet égard la question de l’exposition de celle de la sensibilité à la pollution : même si à Paris les zones touchées par le dioxyde d’azote sont aussi des « beaux quartiers », les personnes qui y résident sont bien moins affectées par cette nuisance que les groupes sociaux qui habitent les quartiers défavorisés eux aussi exposés. 

La qualité de l’air n’est donc pas une question simplement environnementale mais aussi un enjeu social-écologique dont la clé est la justice sociale. D’un côté, la recherche la plus avancée met en évidence l’incidence de l’exposition à la pollution dès la conception sur le devenir social de l’enfant : un garçon né aujourd’hui dans un quartier de Marseille à proximité immédiate d’un axe de transport est victime d’une inégalité environnementale socialement injuste qui peut l’affecter pour des décennies, idem pour une jeune fille parisienne qui voit le jour près du périphérique lors d’un pic de pollution aux particules fines. De l’autre côté, quantité de villes européennes, tout aussi dynamiques et prospères que les villes françaises, ont réussi à réduire fortement la pollution atmosphérique par des mesures simples et efficaces, comme celles que Paris s’apprête enfin à prendre. Peut-on accepter que se forment des inégalités de destin entre enfants français alors même que l’on peut les éviter ? Dans le jargon administratif, on désigne les mesures de lutte contre la pollution de l’air sous le terme étrange de « plan de protection de l’atmosphère ». Ce n’est pas l’atmosphère qu’il s’agit de protéger mais la santé des enfants et des plus vulnérables, eux qui sont des sentinelles écologiques : ils nous alertent sur la gravité d’une crise sociale trop longtemps négligée. 

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