La foule était tragique et terrible ; on criait :
À mort ! Autour d’un homme altier, point inquiet,
Grave, et qui paraissait lui-même inexorable,
Le peuple se pressait : À mort le misérable !
Et lui, semblait trouver toute simple la mort.
La partie est perdue, on n’est pas le plus fort,
On meurt, soit. Au milieu de la foule accourue,
Les vainqueurs le traînaient de chez lui dans la rue.
– À mort l’homme ! – On l’avait saisi dans son logis ;
Ses vêtements étaient de carnage rougis ;
Cet homme était de ceux qui font l’aveugle guerre
Des rois contre le peuple, et ne distinguent guère
Scévola de Brutus, ni Barbès de Blanqui ;
Il avait tout le jour tué n’importe qui ;
Incapable de craindre, incapable d’absoudre,
Il marchait, laissant voir ses mains noires de poudre ;
Une femme le prit au collet : « À genoux !
C’est un sergent de ville. Il a tiré sur nous !
– C’est vrai, dit l’homme. – À bas ! à mort ! qu’on le fusille !
Dit le peuple. – Ici ! Non ! Plus loin ! À la Bastille !
À l’arsenal ! Allons ! Viens ! Marche ! – Où vous voudrez »,
Dit le prisonnier. Tous, hagards, les rangs serrés,
Chargèrent leurs fusils. « Mort au sergent de ville !
Tuons-le comme un loup ! – Et l’homme dit, tranquille :
– C’est bien, je suis le loup, mais vous êtes les chiens.
– Il nous insulte ! À mort ! » Les pâles citoyens
Croisaient leurs poings crispés sur le captif farouche ;
L’ombre était sur son front et le fiel dans sa bouche ;
Cent voix criaient : « À mort ! À bas ! Plus d’empereur ! »
On voyait dans ses yeux un reste de fureur
Remuer vaguement comme une hydre échouée ;
Il marchait poursuivi par l’énorme huée,
Et, calme, il enjambait, plein d’un superbe ennui,
Des cadavres gisants, peut-être faits par lui.
Le peuple est effrayant lorsqu’il devient tempête ;
L’homme sous plus d’affronts levait plus haut la tête ;
Il était plus que pris, il était envahi.
Dieu ! comme il haïssait ! comme il était haï !

La Légende des siècles (Nouvelle série), 1877

 

Faut-il être policier pour apprécier Javert ? L’incorruptible inspecteur des Misérables traque le héros Jean Valjean jusqu’à découvrir les limites du droit et de la justice, et à se jeter dans la Seine. Lui aussi mêle le sauvage au domestiqué : né dans une prison d’une tireuse de cartes, c’est le fils-chien d’une portée de loups, sans indulgence pour ceux de son milieu. Le poème « Guerre civile », dont la première moitié est reproduite ci-dessus, date de quinze ans plus tard : écrit en 1876, il paraît dans La Légende des siècles. Victor Hugo, nommé sénateur, se bat alors pour l’amnistie des condamnés de la Commune. En 1851, il s’était exilé par hostilité au gouvernement de Napoléon le Petit – croqué par le mot « la police partout, la justice nulle part » – avant de vivre de l’intérieur le siège de Paris par les Allemands. Il a connu le révolutionnaire Blanqui, et défendu Louise Michel ; mais, dans ces quelques vers, il dresse le portrait flatteur d’un sergent contre la foule. Qu’importe que celui-ci défende un régime abhorré ! Dans la suite du poème, l’enfant du policier apaisera le conflit de son innocente lumière. Comme lui, Hugo cherche à réconcilier les différentes factions de la nation. Il sera toujours à la fois « pour le peuple, pour l’ordre, et pour la liberté ». Une position intenable pour ceux qui, comme ce personnage de Coluche, pensent que les gardiens de la paix, plutôt que de nous la garder, feraient mieux de nous la foutre. Et trouvent dans la violence contre leurs représentants une façon de s’opposer aux gouvernants. 

 

Vous avez aimé ? Partagez-le !