Je n’ai jamais rencontré la police, j’ai toujours rencontré des policiers.

Les institutions me lassent. Elles portent des noms comme des costumes trop étriqués. Car de qui parle-t-on, du gardien de la paix qui nous salue d’une contravention, du plongeur de la brigade fluviale qui remonte un désespéré, du flic aux poings sales, du policier de l’antigang qui progresse contre les tirs derrière un bouclier Ramsès, du ripou, du bœuf-carottes ou encore du directeur qui doit composer avec la pression politique ? Question peu à la mode aujourd’hui, où le bruit l’emporte sur le temps de l’observation et de la réflexion. Notre époque aime le tapage, le fracas. La pensée ne croit en sa portée que dans l’éclat.

D’où cette force de la polémique, qui selon la belle formule d’Albert Camus, a remplacé le dialogue. Baissons en température, et cessons d’être guerriers. Restons fidèles à la diversité. Car la diversité est la fille de la tolérance.

La police cristallise les passions, c’est vrai. Parce qu’elle touche aux intérêts comme aux interdits. Deux terrains minés. Elle incarne l’autorité, ce qui lui donne cet air sévère. Face à la justice, elle avance le bras armé de la loi. Le Français, qui est joueur mais mauvais perdant, regarde la police d’un œil suspect. La litanie de la prune : pour un Français, l’amende est toujours amère. Surtout, nul n’est vraiment en paix avec la loi – la conscience a plus de zones d’ombre qu’on ne le croit.

Nous parlions des passions. Examinons.

11 janvier 2015. Après la tuerie de Charlie Hebdo et la traque des frères Kouachi, la France se rassemble et défile, hommes d’État en tête. Des flics se font embrasser en pleine rue. La défiance légendaire passe à la démonstration d’amour. Des cars de CRS sont acclamés sur leur passage. L’image de la 4e division américaine adulée par la foule à la Libération revient en écho, toutes proportions gardées.

13 novembre 2015. Plus personne ne conteste la neutralisation des trois terroristes du Bataclan, contrairement à celle de Merah à Toulouse. La police reçoit des milliers de messages de soutien.

24 mars 2016. Près du lycée Bergson, un lycéen de quinze ans encaisse un coup de poing de la part d’un policier. Il dit avoir été « frappé pour rien du tout ». La question des bavures policières ressurgit.

26 mai 2016. À Paris, un manifestant reçoit une grenade à la tempe, lancée par les forces de l’ordre. Il est gravement blessé. L’opinion s’enflamme.

18 mai 2016. Paris, place de la République. Signe de lassitude, des policiers manifestent « contre la haine anti-flics ». Quai de Valmy, des casseurs attaquent une voiture de policiers et jettent, par la lunette arrière brisée, un fumigène. « Tuez-les tous ! », « Flics, porcs, assassins ! », « Tout le monde déteste la police » sont les slogans assenés.

L’opinion suit le sens du vent. Elle se fait brise ou rafale. Je ne fais que l’observer. L’écriture se place, pour moi, du côté de l’humanité. Je me méfie de cette cyclothymie, des têtes à couper comme des bustes sanctifiés. L’opinion est opportuniste. Passer de l’héroïsation à la détestation est un mouvement pendulaire qui témoigne d’une dangereuse versatilité. De la capacité, d’un côté comme de l’autre, à se laisser imprégner. Je regarde le buvard et note les taches. Un jour rouges, un jour bleues. La bonne conscience collective est l’assise du manichéisme. Les pandas exceptés, je n’ai jamais trouvé le monde blanc et noir. Il faudrait toute une palette de gris pour sonder la société. Voilà pourquoi j’aime le roman — pour son temps de la décantation, loin de la réaction.

Comme les chirurgiens, les légistes, les fossoyeurs, les éboueurs, les policiers ont les mains dans la fange. Mais cette main est armée. Elle dispose d’un pouvoir de vie et de mort. Quelle plus forte responsabilité ? De là l’ambivalence, entre terreur et fascination. Au quai des Orfèvres, on entend : « En police judiciaire, notre outil de travail principal est la procédure, pas les calibres. Avec la multiplication des séries, les gens ont l’impression de bien connaître la police. L’image de la police s’est à la fois banalisée et désacralisée, du képi à la casquette. Qu’ils prennent une contravention, ils détesteront la police. Qu’on arrête la personne qui les a volés, et ils vont l’adorer. Tout est question de situation. »

N’être ni aboyeur ni idolâtre, garder sa voix.

Je me souviens d’un policier d’Épinay-sur-Seine qui courait derrière les petits caïds de cité et chassait le sanglier – à l’arc. Il ne peut plus tuer une bête. D’un grand limier de la Crime qui boit du chocolat, comme les enfants, entre deux dossiers pleins de sang. D’un jeune de la BRI, aux bras gros comme des vérins, qui jouait du Chopin. D’un caporaliste obtus chez qui les cris enterrent tout dialogue. D’un homme qui invente un harnais pour qu’un berger malinois hélitreuillé ne se casse pas les pattes, en sautant au sol. De policiers de l’état--major, aussi, qui prennent chaque jour le pouls du mal comme un médecin penché sur les souffrances du monde.

Il y a mille visages de la police. Répressive, protectrice, abusive, dévoyée, salvatrice. À l’image de l’homme. Que l’autorité devienne aveugle ou donne le sentiment d’in-justice ou d’inefficacité, voilà la gravité.

« Pour être respecté, il faut être respectable », dit un policier. Serait-ce la clef ?

Et je pense au prince de Machiavel qui « doit se faire craindre en sorte que, s’il n’acquiert point l’amitié, pour le moins, il fuie l’inimitié ; car il peut très bien avoir les deux ensemble, d’être craint et n’être point haï ».

La loi ne peut répondre à la kalach avec la lyre. Mais le singulier, par l’éthique, doit fonder la force du collectif. 

 

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