Le massacre de masse commis à Orlando, en Floride, suscite des commentaires contrastés entre les États-Unis et les pays européens. Dans ces derniers, la focalisation se porte quasi exclusivement sur l’identité politico-religieuse du tueur – un musulman revendiquant son affiliation à Daech – et les leçons à en tirer. Aux États-Unis, ce thème est évidemment abordé, mais deux autres s’y ajoutent, qui génèrent autant de commentaires. Ils portent sur les modes opératoires du tueur et sur la nature de la cible : des homosexuels. 

De fait, les récents carnages commis à Paris et Bruxelles d’un côté, à San Bernardino (Californie) et Orlando de l’autre, sont marqués par une différence qui explique, pour l’essentiel, les divergences de réaction. Dans les cas européens, il s’est agi de groupes agissant en bande organisée, dont certains membres ont entretenu des contacts identifiés avec des responsables de Daech. Dans les cas américains, il s’est vraisemblablement agi d’initiatives d’individus idéologisés sur Internet. En Europe, les criminels se sont procuré leurs armes par des moyens illégaux. Aux États-Unis, ils les ont simplement achetées dans un magasin spécialisé. 

Le massacre d’Orlando survenant dans un contexte de campagne électorale présidentielle, Donald Trump, candidat du Parti républicain, s’est concentré sur la dénonciation de l’islam et des musulmans (et accessoirement des immigrés en général). Barack Obama comme Hillary Clinton ont, eux, insisté sur le caractère individuel de l’acte et son soubassement idéologique, mais ils y ont ajouté une nouvelle dénonciation de l’absurdité de la vente libre d’armes à feu, et d’armes de guerre en particulier, dans un pays où le nombre de ce que les Américains appellent les « meurtres de masse » atteint des niveaux ailleurs inconnus, transformant les ventes d’armes à feu en un enjeu primordial dans la lutte contre Daech.

Un exemple récent laisse entrevoir la dimension quasi « identitaire » de ce débat aux États-Unis. Syed Rizwan Farook et Tashfeen Malik, les deux islamistes qui, le 2 décembre 2015, ont attaqué un centre de handicapés à San Bernardino, en Californie (14 morts et 29 blessés), avaient acheté leurs armes dans un magasin. En réaction, le gouverneur démocrate du Connecticut, Dannel Malloy, proposa d’interdire la vente d’armes aux personnes fichées comme terroristes potentiels par le FBI, la police fédérale, et donc de demander aux marchands de consulter ce fichier avant toute vente. Ce qui provoqua un tollé de la part de nombreux élus contre cette intolérable atteinte aux libertés individuelles. Freedom avant tout ! Le porte-parole de la NRA, le lobby des fabricants d’armes, expliqua qu’interdire des ventes d’armes à des terroristes potentiels constituait un « enjeu constitutionnel » et qu’« une simple suspicion était insuffisante ». Les mêmes élus républicains sont les premiers à soutenir Donald Trump lorsqu’il prône l’interdiction d’entrée du territoire aux musulmans, quels qu’ils soient. Être fiché comme terroriste potentiel serait, en revanche, un motif insuffisant pour se voir interdire d’acquérir des armes de guerre.

Dès lors, pour une large majorité d’Américains, le massacre d’Orlando s’inscrit aussi – et peut-être d’abord – dans le débat sans fin sur les ventes d’armes. Dans un éditorial, le 13 juin, le New York Times insère cette tuerie dans la longue suite des « meurtres de masse ». Leur dénominateur commun, quelles que soient leur modalité opérationnelle, l’idéologie ou l’absence d’idéologie qui les a motivés, juge-t-il, « c’est l’accès facile en particulier aux armes de type militaire, qui permettent de tuer beaucoup de personnes en peu de temps ». Selon le site Mass Shooting Tracker, il y a eu aux États-Unis 338 tueries collectives en 2013, 278 en 2014, 371 en 2015. Près d’une par jour en moyenne. Il y en avait déja eu 138 cette année avant celle d’Orlando. Seules les plus spectaculaires font l’objet d’un traitement médiatique d’ampleur. Les plus graves, en 2012, ont causé 12 morts et 58 blessés dans un cinéma du Colorado et 26 morts, dont 20 enfants, dans une école du Connecticut. Mais le crime d’Orlando pourrait, pour la première fois, modifier la donne. Car Trump s’est publiquement rallié à l’idée de fournir les listes de terroristes suspects aux marchands d’armes pour réduire les risques à l’avenir. Il s’agit de la première entaille, du côté de la droite américaine, dans le dogme jusqu’ici intangible de l’« inconstitutionnalité » de l’interdiction des ventes libres d’armes à feu. 

Parmi les mass crimes, les « crimes de masse », les Américains distinguent une catégorie spécifique, celle des hate crimes, ces « crimes haineux » perpétrés contre une catégorie spécifique de population. Récemment, le spécialiste de l’islam Olivier Roy se demandait si l’on n’assistait pas, actuellement, à ce qu’il nomme une « islamisation de la radicalité » plutôt qu’à une radicalisation de l’islam. Indubitablement, le cas du meurtrier d’Orlando s’inscrit dans ce questionnement. Il se trouve que, cette fois, une agression homophobe exceptionnellement spectaculaire est commise par un homme se revendiquant de Daech. Mais si les Noirs sont les premières victimes des « crimes haineux » aux États-Unis, les agressions homophobes y sont aussi légion. Dans le cas d’Orlando, beaucoup de commentateurs américains notent que le criminel entretenait visiblement avec l’homosexualité un rapport violent d’attirance-répulsion. Si tel était le cas, son geste s’expliquerait prioritairement par des propensions psychologiques enfouies auxquelles Daech n’aurait fait qu’offrir une « couverture » pseudo-idéologique. Car la violence homophobe n’est pas le monopole de Daech. En 1973, un incendie criminel avait fait 32 morts dans un bar gay de La Nouvelle-Orléans. Certaines églises locales avaient refusé l’enterrement aux victimes. 

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