Alban Alidjra-Vignal
Admirer la vie

J’ai dansé, je danse encore. Souris. J’ai dansé jeune et j’ai compris mon corps. J’ai compris que c’était lui et moi jusqu’au bout. Alors autant faire la paix maintenant. Et puis j’ai couru pour essayer, je cours encore. Inspiré. La puissance des foulées. Le cœur comme un muscle. La méditation en mouvement pour arrêter de fumer. Ça a marché. Escalader son corps jusqu’en haut pour admirer la vue. Pour admirer la vie. Expire.

 

François Pradayrol
L’odeur de son cigare
Le sport, c’est ce regard dans mon dos, au bord du terrain. Ce cri d’encouragement. Cette voix reconnaissable parmi des milliers. Ces mots de réconfort ou de félicitation dans la voiture, sur le trajet du retour. Cette main sur mon épaule. Cette présence à mes côtés, aux urgences, les jours de blessure. Le sport, c’est la fierté que j’ai toujours cherchée dans ses yeux. L’odeur de son cigare, lorsqu’il s’approche à la mi-temps. Les interminables discussions les dimanches soir à table, au moment de refaire le match des centaines de fois. C’est aussi tous ces stades, toutes ces ambiances de tribunes et de ferveur, de joie intense, de déceptions que l’on a partagées ensemble, à travers des instants privilégiés de communion. Le sport, c’est ce qui m’a permis de rencontrer mon père. De le découvrir chaque week-end un peu plus, de tisser cette relation toujours plus forte et intime. Elle ne se résume pas à cela, mais elle n’aurait jamais été la même sans ces milliers d’heures passées à vibrer tous les deux autour d’une pelouse.

 

Marianne Gokalp
Escalade à l’aveugle
Je hais les sports de vitesse. Au mieux, ils m’incommodent, au pire, ils m’angoissent – ne m’invitez pas au ski, cette autoroute de coke pour chauffards décomplexés. Je fais du sport comme j’écris : lentement, avec mes écailles de tortue. Cette prudence sied à l’escalade. Inutile d’aller trop loin trop tôt : ce sont les petits pas qui mènent au sommet. La bonne « prise » est celle qui se trouve près du pied, même – et surtout – si elle n’est qu’une rature dans le mur. Encore faut-il oser la prendre. Au commencement, de peur que mon pied y glissât, je lui préférais les grosses prises lointaines : immanquablement, je me retrouvais écartelée. D’où vient cette erreur de novice ? L’envie d’atteindre trop vite le sommet. Un comble ! Alors un jour, pour ne plus le voir, je mis un bandeau sur mes yeux. Mes pieds caressèrent, mes mains tâtonnèrent : chaque biffure du mur fut écoutée par des oreilles antédiluviennes. Les aspérités que mes pieds élisaient leur offraient des ailes en retour. Je ne me hissais plus ; je m’élevais. Au sommet, grisée par l’arrivée, je relevai mon bandeau et regardai mes amis en bas. « T’es allée vite ! » Depuis, j’écris comme je grimpe : en écoutant les ratures. 

 

Romane Mika
Sirènes et hippocampes
Chaque semaine, l’euphorie m’envahit. J’attends ce moment avec tellement d’impatience, et lorsque j’ai terminé, j’en redemande encore. À chaque fois que j’entends le bruit de l’eau, je me souviens de ma première fois. Ce moment où mes orteils ont frôlé la surface froide, celui où mon corps tout entier s’est mis à flotter, la première gorgée d’eau chlorée, des images plein la tête. Quand on est petit, on s’imagine des sirènes, hippocampes et poissons nageant autour de nous. Et puis on grandit. On réalise nos rêves, on change, on mûrit. Nos centres d’intérêt évoluent aussi, mais la piscine reste dans nos vies. Et aujourd’hui c’est bien plus qu’une envie. Eau salée et eau chlorée, dauphins enfin rencontrés. Le reste, je vous laisse l’imaginer.

 

Maxence Pascault
Merci au football
J’ai été porté en triomphe après un penalty arrêté dans la cour de récré en CE2. J’ai gagné la confiance d’un entraîneur quand j’ai osé un tir buteur du milieu du terrain. Quelques spectateurs m’ont applaudi lors d’un geste technique réussi. J’ai été vexé une fois d’être exclu devant mon père. J’ai douloureusement renoncé à une carrière de joueur professionnel. Pour la première fois, j’ai vu mon père ému en 1998 et encore plus en 2000. J’ai découvert le rôle d’entraîneur, je l’ai appris, je l’ai aimé. Il m’a fait découvrir par les rencontres, l’intérêt de l’autre, la profession que j’exerce aujourd’hui avec passion : éducateur spécialisé. Pour tout cela, toutes ces émotions, humblement, je dis merci au football d’être passé dans ma vie.

 

Julie
Ensemble sur le tatami
Je pratique depuis deux ans le systema, un art martial russe fondé sur plusieurs grands principes : le mouvement et la détente, la maîtrise de la respiration, le maintien de la structure, la gestion des émotions. J’avais beaucoup d’appréhension en me rendant au dojo pour la première fois. Moi, une fille très douce, 19 ans, 50 kg, pratiquer un art martial où il n’y a ni grades, ni prises prédéfinies, ni règles. Où le but est la survie en situation de combat. Eh bien, oui. Certes, on se dépense physiquement, mais ce n’est pas un sport : c’est beaucoup plus qu’un sport. J’ai trouvé dans ce dojo une bienveillance et un respect peu communs. Tout le monde est ensemble sur le tatami, sans aucune distinction de niveau – d’ailleurs cette notion n’existe pas. Chacun s’adapte à son partenaire et lui donne des conseils. On se frappe vraiment, oui, mais dans le calme et avec respect. Il n’y a pas de notion de performance, il n’y a pas d’évaluation, et pourtant rien de plus exigeant : chacun est maître de sa séance, seul à décider de l’effort qu’il veut fournir… Des principes qui servent pour toute la vie.

 

Cécile Druart
19 minutes 34 secondes 51
Un post-it dans la salle de bains. Championnats de France de natation masters. 1 500 mètres. L’objectif est clair : gagner. Avec plaisir. Sur un post-it, discret, collé sur le miroir de ma salle de bains : « 19 min 55 ». Le record de France. Des mois durant, se mettre à l’eau avant que la ville s’éveille ou s’y plonger quand la ville s’endort. Le 2 mars 2006, Dunkerque. Huit nageuses au départ de la meilleure série. Une seule sera championne de France. Une seule. C’est parti. Dans l’eau fraîche, un œil sur les nageuses qui accrochent, l’autre sur le chrono. Je sais que je vais gagner. Je le veux. Au fond de moi. À chaque respiration, j’aperçois sourires et bonds de joie. Je touche la première, je lève les yeux vers le tableau électronique qui affiche 19 minutes 34 secondes 51. Un tout petit moment hors du temps. Ces petites secondes sont à moi, rien qu’à moi. Du concentré de bonheur. Je ferme les yeux et serre le poing. Championne de France et record de France. Je l’ai fait !

 

Igor Tailrud
Faites du e-sport
J’ai toujours eu du mal à coordonner mes membres, j’ai toujours été mauvais en sport. J’ai longtemps fui le sport, fatigué des moqueries – il n’est pas toujours un moyen d’intégration. Mais on revient tous un jour au sport, sous des formes parfois étranges ; grâce au sport électronique, ou e-sport, dans mon cas. Il existe dans certains jeux vidéo, comme aux échecs, une richesse technique qui autorise des niveaux de maîtrise à la limite du naturel. On trouve aussi, comme dans les sports physiques, des personnes douées d’une virtuosité qui nous transporte. Impossible d’oublier cette finale de Street Fighter III : Third Strike au cours de laquelle Daigo Umehara, opposé à Justin Wong, a atteint la maîtrise parfaite de la technique de parry, qui permet de contrer un coup, et a ainsi bloqué plusieurs dizaines d’attaques intégrées à un combo, pour ensuite riposter et remporter le match sur le fil ! C’est avec cette vidéo que j’ai vibré devant un match pour la première fois de ma vie, et compris la valeur du sport, que je tente de transmettre à mon fils. D’où vient sa puissance ? C’est peut-être la dernière forme de transcendance qu’il nous reste.

 

Sarah Bello
Le plaisir du jeu
Je suis arbitre. Cette simple phrase transforme le regard des gens. Essayez, vous verrez ! Très vite, les questions arrivent : « Mais pourquoi ? Tu jouais mal ? Tu veux te venger ? T’aimes te faire insulter ? Comment tu supportes tout ça ? Moi, j’pourrais pas, j’aime pas les arbitres... » Il y a des jours où ça fait sourire et il y a des jours où ça pèse... Il est parfois difficile d’expliquer qu’on aime juste faire partie du jeu sans prendre parti, juste pour le plaisir du jeu et celui de se mettre, un peu, au service des autres pour que tout le monde puisse jouer. Le pire, c’est quand on me demande ensuite ce que je fais comme boulot : je suis fonctionnaire. Les gens font souvent la même tête et les mêmes remarques. Vous ne l’êtes pas : essayez, vous verrez ! 

 

Arnaud Chalaud
Voiture-balai
Sept heures. Et cette camionnette qui n’en finit pas de ronfler derrière moi. Au début, tout allait plutôt bien. J’aurais même cru pouvoir me mêler au peloton. Mais non ! Depuis le premier kilomètre, je n’entends plus l’essaim bourdonnant baigné d’huile et de sueur. Très vite, dans un virage de plaine, la dernière ligne de roues a disparu dans le mirage vaporeux des routes d’été. Ils doivent être arrivés depuis… trois heures. Et moi, je suis dans le silence des alpages du col de la Madeleine. Les bornes jaunes échelonnées comme des phares. 9 %. Silence de la montagne à vélo. On entend des vaches qui secouent la tête pour chasser les mouches en faisant tinter la cloche de tôle. Un télésiège arrêté chauffe au soleil. Et la camionnette juste derrière moi qui m’accompagne. Comme m’a dit le conducteur : « Pas de problème, le balai est là pour ça ! » Moi aussi, je suis là pour ça. Pour le silence, les vaches, le soleil, la douleur, les crampes. Mon épreuve. 

 

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