L’essor de la consommation collaborative est certainement l’événement le plus spectaculaire intervenu dans la sphère de la consommation au cours des dernières décennies. Il est potentiellement lourd de conséquences pour l’avenir des marchés de consommation. 

Dès 2012, l’ObSoCo a mis en place un Observatoire des consommations émergentes pour tenter de mesurer l’ampleur du phénomène, d’identifier qui fait quoi et pourquoi. La vague 2015 a procédé à la mesure de la pénétration de douze pratiques collaboratives (c’est-à-dire, mettant en rapport des particuliers), dont l’occasion, la location, l’emprunt, le covoiturage, l’hébergement entre particuliers… Pas moins de 80 % des Français interrogés déclarent avoir pratiqué au moins une de ces activités au cours des douze derniers mois. La majorité ne déclare qu’une ou deux pratiques, mais un noyau dur d’individus très engagés dans ce mode de consommation (six pratiques ou plus) représentent près de 10 % de la population. Sur le podium des pratiques les plus diffusées : l’emprunt (avec un taux de pénétration de 44 %), la vente d’occasion à un particulier (44 %) et l’achat d’occasion (41 %). Des pratiques très médiatisées telles que le cohébergement (17 % côté demande et 13 % côté offre) ou les AMAP et réseaux d’achats groupés du même type (6 %) ne touchent que des cercles étroits. La comparaison avec les taux de pénétration des vagues antérieures de l’Observatoire révèle que nous sommes manifestement entrés dans une phase de consolidation et que le gros de la croissance est désormais derrière nous. La timide reprise du pouvoir d’achat pourrait même induire un reflux de certaines pratiques collaboratives.

Le succès des consommations collaboratives tient à ce qu’elles se situent à l’intersection de plusieurs types de motivations. La première motivation déclarée relève le plus souvent de l’intérêt personnel bien compris : c’est un moyen moins coûteux de satisfaire un besoin. La conjoncture économique de la dernière décennie a ainsi été un booster de ces modes de consommation. Mais il y a aussi une forme de « quête de sens » – qu’il s’agisse de consommer de façon plus responsable ou de recréer du lien social –, l’expression d’un désir d’être acteur de sa consommation, ainsi bien sûr que l’attrait pour le renouvellement de l’expérience de consommation notamment grâce à l’usage des nouvelles technologies. 

Il n’y a pas à proprement parler un portrait type du consommateur collaboratif. Son profil varie selon les pratiques. Une vue d’en haut, qui considère à la fois la diversité et l’intensité des pratiques de chaque individu, fait ressortir un engagement dans le collaboratif qui décline avec l’âge. De manière plus inattendue, on est d’autant plus enclin à consommer collaboratif que l’on bénéficie de revenus élevés et que l’on appartient à la catégorie des CSP+ (qui regroupe les artisans-commerçants, les chefs d’entreprise, les cadres, les professions intellectuelles supérieures et les professions intermédiaires). L’engagement dans le collaboratif est très fortement corrélé au degré de sensibilité aux questions environnementales. C’est donc logiquement que l’on trouve un plus fort engagement chez les personnes se déclarant proches des mouvements écologistes, mais aussi « très à gauche » et – plus surprenant – au centre. Lorsque l’on rapproche le degré d’engagement des individus de leur système de valeurs, on note qu’il est plus important parmi les « altruistes », mais aussi parmi les… «  matérialistes ». 

Ce dernier point invite à éviter la méprise consistant à voir dans l’essor du collaboratif une forme de critique active de la société d’hyperconsommation. Si pour certains pratiquants (notamment les « pionniers »), cette manière de consommer peut être chargée d’une posture de résistance, nous observons statistiquement que le degré d’engagement dans la consommation collaborative est associé à des attitudes positives à l’égard de la consommation. Autrement dit, les hyperconsommateurs ont trouvé là un nouveau terrain de jeu ! Ce qui n’a pas échappé aux start-up à succès dont le discours, bien peu militant, est centré sur les « bénéfices clients ». C’est aussi ce que les acteurs traditionnels des marchés de consommation ont commencé de comprendre. À travers des offres de services collaboratifs ou des formules dans lesquelles l’usage prime la propriété, ils ont entrepris de redonner un coup de jeune à un modèle de consommation de masse qui s’essouffle. Paradoxalement, le collaboratif pourrait être un formidable levier de rebond du capitalisme… 

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