Quels arguments sont mis en avant pour défendre le vote à 16 ans ?

D’abord lutter contre l’augmentation de l’abstention qui taraude nos vieilles sociétés démocratiques depuis une trentaine d’années. Plus on intègre les jeunes de façon précoce dans un apprentissage de la vie civique et politique, plus les chances sont grandes que leur participation soit durable. Tous les travaux de science politique sur la participation électorale et la socialisation politique ont bien mis en évidence ce phénomène. Il faut qu’une personne ait voté trois fois dans la foulée de son entrée dans la citoyenneté active pour que les chances de la voir participer ultérieurement soient fortes. Plus largement, une telle mesure s’inscrirait dans une volonté d’éducation civique des jeunes.

Qu’est-ce qui changerait si l’âge du vote était ainsi abaissé ?

On ajouterait 1,6 million de primo-votants, dès lors qu’on compte environ 800 000 jeunes par année d’âge. Ce n’est pas rien, sur un corps électoral de 44 millions de personnes, sachant qu’une élection peut se jouer à très peu de chose. En termes de positionnement, c’est compliqué d’isoler les 16-18 ans car ils s’inscriraient dans une dynamique d’ensemble du vote des jeunes, globalement la tranche des 18-30 ans, soit 15 % du corps électoral. Fixer l’âge du vote à 16 ans présenterait aussi un intérêt démocratique. Alors que notre corps électoral est très vieillissant, cela aurait pour effet de le rééquilibrer en élargissant la proportion de jeunes. J’y suis pour ma part favorable. 

Pourquoi ?

J’y vois une opportunité de réhabiliter le politique. Il serait alors possible de sensibiliser les jeunes à la participation électorale dans des cadres de socialisation définis que sont la famille et l’école. Je considère que l’école peut jouer un rôle très important dans l’éducation à la politique, pour contrebalancer ce à quoi les lycéens ont accès à travers Internet et les médias en général, sans avoir la capacité de trier les informations. Ils en retiennent le plus critique, le plus porté à la dérision, le plus défiant. L’école pourrait permettre aux jeunes de réaliser que le débat politique est réel. Que les batailles ne sont pas vides d’idées, mais qu’il existe des intentions et des visions différentes de la société, des projets et des programmes qui s’opposent. Si le vote était abaissé à 16 ans, il serait nécessaire de donner aux jeunes des outils de connaissance sur les enjeux et le personnel politiques. Des outils qu’ils demandent pour s’autoriser à voter à cet âge. Si cette mesure existait, elle mériterait d’être accompagnée par l’Éducation nationale, à travers un grand projet d’ensemble qui revisiterait d’une autre façon les contraintes de la laïcité dont l’effet est pervers.

Que voulez-vous dire ?

À force de vouloir respecter à ce point l’école laïque et républicaine, de vouloir la vider des questions d’appartenance religieuse ou politique, l’école s’est coupée de la possibilité de donner aux jeunes des informations pour se repérer en tant que citoyens. J’ai toujours plaidé pour que la politique franchisse les murs de l’école. Pas au sens partisan, mais il faudrait que l’institution scolaire donne une place au personnel politique, aux élus de tous bords, et pourquoi pas jusqu’aux élus du FN, à travers un débat. Il faut rétablir cette culture du débat. Montrer que la politique, ce ne sont pas les petites phrases et les querelles intestines. 

Voter à 16 ans serait un bienfait démocratique. Ce serait le moteur pour intégrer la dimension politique dans le projet éducatif. Je crois à la vertu d’un apprentissage de la participation électorale et civique pour lutter contre l’abstention en réhabilitant l’engagement politique, aujourd’hui abîmé et entaché, du côté des citoyens. 

Que pensent les jeunes eux-mêmes du vote à 16 ans ?

Les jeunes ne sont pas demandeurs. Ils ne se considèrent ni assez informés ni assez matures pour s’engager dans ce qu’ils voient encore – c’est intéressant – comme un acte symboliquement fort, engageant une responsabilité. Dans leur ambivalence face à cette possibilité de voter plus jeune, on voit se dessiner une image du vote qui montre qu’ils considèrent que c’est une pratique importante dans la démocratie représentative. D’ailleurs, quand on demande aux jeunes s’ils sont attachés au droit de vote, une très large majorité répond favorablement. S’ils ne sont pas d’accord avec l’idée de voter à 16 ans, ce n’est pas qu’ils se montrent distants vis-à-vis du système politique. Leur réponse se construit sur leur sentiment de ne pas avoir la compétence requise pour assumer cette responsabilité. 

N’est-ce pas illusoire d’initier plus tôt les jeunes à la politique, dans le contexte de défiance qui domine notre société ?

Les jeunes sont socialisés à la politique dans un contexte de défiance massive et familière. Ils sont nés avec la montée de l’abstention, des forces populistes, du FN… Ils ont intégré le rejet de la politique. S’ils doivent construire leur citoyenneté, c’est sur ce socle de défiance. Cela peut aussi avoir des effets positifs.

Vraiment ?

Oui. Paradoxalement, ce contexte peut faire émerger des citoyens plus armés, plus critiques, plus vigilants à l’égard de la démocratie. La sociologue Monique Dagnaud a mis en lumière ce qu’elle appelle « la culture lol » de la dérision politique. Se moquer de la politique suppose une certaine expertise. On interpelle le pouvoir. Il y a là une vitalité. À partir de cette ambivalence, je vois tout l’intérêt d’abaisser le droit de vote à 16 ans pour développer très tôt un terreau d’implication et d’engagement dans la socialisation politique des jeunes générations.

Que changerait le vote à 16 ans pour les politiques ?

Pas grand-chose, car ils ont peur de la jeunesse. Elle est imprévisible. Elle a une énergie, une disponibilité. On la retrouve dans les mobilisations collectives, dans les moments d’affrontement et de violence. Les politiques ne savent pas bien aborder cette partie de la population qui a beaucoup d’attentes, dans un contexte de crise économique endémique et de manque de reconnaissance envers la jeunesse. Celle-ci se montre de plus en plus critique. Il faudrait que les politiques donnent des réponses à la hauteur de leurs attentes. Sur le chômage, ils ne prennent pas le risque de faire des promesses. Aucun ne peut présenter aux jeunes un bilan satisfaisant. C’est une hypothèque énorme dans le lien qui peut être établi entre le personnel politique et la jeunesse. 

Quelles formations politiques sont favorables au vote à 16 ans ?

On assiste aujourd’hui à une relative droitisation de la jeunesse. Longtemps sous la Ve République, c’était plutôt la gauche qui prônait le vote à 16 ans, la jeunesse penchant alors de son côté. Dans la période récente, ceux qui ont demandé cet abaissement sont plutôt des centristes. Pas le PS ou l’ex-UMP. En 2012, François Hollande n’a pas été particulièrement soutenu par la jeunesse. 

C’est un échec lourd de conséquences pour lui ?

Symboliquement, c’est important. Derrière les jeunes, il y a les autres générations : leurs parents, leurs grands-parents. Près de sept Français sur dix considèrent que les jeunes générations auront moins de chance qu’eux. Dans ce contexte, le rendez-vous manqué de François Hollande avec les jeunes a des conséquences qui touchent toutes les catégories de la population. 

Les jeunes sont-ils plus matures aujourd’hui ?

Pas forcément. Il y a longtemps, les jeunes étaient plus proches de l’autonomie. Ils pouvaient travailler plus tôt, quitter leur famille, jouer un rôle social, avec une maturité sans doute plus forte. Aujourd’hui, ils sont maintenus dans le temps long de la jeunesse, en dehors de toute possibilité d’entrer dans la société avec des moyens d’autonomie pour se loger, pour obtenir une utilité sociale à hauteur de leurs compétences manuelles ou de leurs diplômes du supérieur. Les jeunes de 16 ans ont moins de possibilités d’être reconnus comme des adultes en puissance.

Propos recueillis par ÉRIC FOTTORINO

 

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